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est intense : et fatalement cette illusion est bien plus forte pour lui que pour les autres. Nous voyons aussi pourquoi la coexistence (apparente) est bien plus facile pour deux états contraires que pour trois, et surtout pour un plus grand nombre. Ce fait dépend des limites de la conscience. Encore une fois, c’est une opposition dans le temps et non dans l’espace.

En résumé, l’indépendance relative des deux hémisphères n’est pas douteuse. Le trouble produit dans la personnalité par leur désaccord n’est pas douteux ; mais tout réduire à une simple division entre le côté gauche et le côté droit, c’est une hypothèse qui, jusqu’ici, n’a fait valoir aucune raison sérieuse.

III

Quelques mots sur la mémoire. Nous n’avons pas de raisons de l’étudier, et à part, car elle est partout dans notre sujet. La personnalité, en effet, n’est pas un phénomène, mais une évolution ; un événement momentané, mais une histoire, un présent ou un passé, mais l’un et l’autre. Laissons de côté la mémoire que j’appellerai objective, intellectuelle : les perceptions, images, expériences et connaissances emmagasinées en nous. Tout cela peut disparaître partiellement ou totalement ; ce sont des maladies de la mémoire dont nous avons donné, ailleurs, de nombreux exemples. Considérons seulement la mémoire subjective, celle de nous-même, de notre vie physiologique et des sensations ou sentiments qui l’accompagnent. Cette distinction est toute factice, mais elle nous permettra de simplifier.

D’abord une telle mémoire existe-t-elle ? On pourrait dire que chez l’individu parfaitement sain, le ton vital est si constant que la conscience qu’il a de son corps n’est qu’un présent qui se répéte incessamment ; mais cette monotonie, si elle existe, en excluant la conscience, favoriserait au contraire la formation d’une mémoire organique. En fait, il y a toujours quelques changements et comme nous n’avons conscience que des différences, ils sont sentis. Tant qu’ils sont faibles et partiels, impression d’uniformité persiste, parce que les actions sans cesse répétées sont représentées dans le système nerveux d’une manière bien autrement stable que les changements éphémères. Leur mémoire est organisée, par suite, au-dessous de la conscience et d’autant plus solide. Là est le fondement de notre identité. Eux-mêmes, ces petits changement agis-