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Laissons de côté les discussions passées et présentes sur le rôle physiologique et psychologique de ces centres ; elles rempliraient un gros volume. Prenant la question en bloc, nous pouvons dire que la couche corticale représente toutes les formes de l’activité nerveuse : viscérale, musculaire, tactile, visuelle, auditive, olfactive, gustative, motrice, significatrice. Cette représentation n’est pas directe : une impression ne va pas de la périphérie au cerveau comme une dépêche télégraphique va du bureau expéditeur au bureau voisin. Dans un cas où la moelle était réduite à la largeur d’un tuyau de plume et la substance grise infiniment petite, le sujet sentait (Charcot). Mais, en fin de compte, indirecte ou même doublement indirecte, cette représentation est ou peut être une représentation totale. Entre les équivalents de ces actions nerveuses disséminées dans le corps, il existe des connexions innombrables (commissures entre les deux hémisphères, entre les divers centres de chaque hémisphère) ; les unes innées, les autres établies par l’expérience[1], ayant tous les degrés possibles, du très stable au très instable. La personnalité physique ou, plus exactement, sa représentation dernière, nous apparaît donc, non comme un point central d’où tout rayonne et où tout aboutit (la glande pinéale de Descartes), mais comme un lacis prodigieusement enchevêtré et inextricable, où l’histologie, l’anatomie et la physiologie s’égarent à chaque instant.

À travers cette esquisse extrêmement grossière, on peut entrevoir que les termes consensus, coordination, ne sont pas un simple flatus vocis, une abstraction, mais l’expression de la nature des choses.

II. Rétablissons l’élément psychique jusqu’ici éliminé et voyons ce qui s’ensuit. Rappelons que, pour nous, la conscience n’est pas une entité, mais une somme d’états dont chacun est un phénomène d’un genre particulier, lié à certaines conditions de l’activité du cerveau, qui existe lorsqu’elles existent, manque lorsqu’elles manquent, disparaît lorsqu’elles disparaissent. Il en résulte que, chez, un homme quelconque, la somme des états de conscience est très inférieure à la somme des actions nerveuses (réflexes de tout ordre du plus simple au plus composé). Pour préciser : pendant une période de cinq minutes, il se produit en nous un défilé dé sensations,

  1. Il est clair, par exemple, que chez un homme qui ne sait pas écrire, certaines associations de mouvements très délicats ne sont pas établies, ni par conséquent représentées dans l’encéphale, ni associées aux dispositions nerveuses qui représentent les mêmes mots sous leur forme vocale. Ainsi pour beaucoup d’autres cas.