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revue générale. — b. perez. Les théories de l’éducation.

que celui de réunir pour un temps, et d’envisager sous des aspects nouveaux des faits déjà connus, joints à quelques faits d’observation nouvelle.

Le philosophe Rosmini a cherché, dans son livre Du principe suprême de la méthodique, à coordonner toutes les règles de l’éducation, ou plutôt de l’instruction, autour d’un principe supérieur qui est pour lui la gradation. Le principe une fois trouvé, il en montre les applications les plus minutieuses et les plus précises, non sans avoir sondé d’un œil pénétrant l’esprit et le cœur de l’enfant pour en découvrir les secrètes opérations, et par suite, les lois qui les régissent. Pour cet hégélien doublé d’un sensualiste, la marche naturelle de la pensée, que l’éducateur doit connaître à fond, n’est pas autre chose que l’ordre ou le progrès suivant lequel les divers objets se présentent à l’esprit. Or l’échelle naturelle de la pensée comporte trois degrés : classer les choses selon leur ressemblance : les distribuer dans un certain ordre local ; raisonner sur eux au moyen d’une déduction attentive et scrupuleuse. Voilà les trois critères idéologiques de la didactique élémentaire ; d’où la conclusion pratique : présentez à l’esprit de l’enfant successivement les objets qui appartiennent aux différents ordres d’intellection. Un côté original de cette méthode est le suivant : sous prétexte que l’enfant saisit les ressemblances avant les différences, et passe de l’universel au particulier, de l’indéterminé au déterminé, Rosmini veut qu’on lui nomme les objets d’après les signes communs à l’espèce ou au genre avant de lui apprendre les noms propres à l’individu ou à la variété. C’est une erreur dans laquelle Mme Necker de Saussure reproche à Locke lui-même d’être tombé. Mais je n’ai pas le loisir d’insister sur cet intéressant débat. Somme toute, et son idéalisme à part, Rosmini a bien vu partout une continuité, une gradation que l’ordre pédagogique doit reproduire. Il s’est efforcé aussi de montrer quel est pour chaque âge d’enfant le développement de chaque faculté, et par suite quel genre d’éducation lui convient. Mais, comme M. Siciliani le fait observer quelque part, le principe rosminien n’est pas un principe, ni surtout un principe suprême : ce n’est qu’un simple moyen d’enseignement, un expédient pédagogique. Un vrai principe, ce serait, par exemple, la fin de l’éducation, et l’on sait quelle peut être la fin de l’éducation pour Rosmini, étant données les idées de ce philosophe sur l’origine et la fin de l’homme, de la société et du monde[1].

Rayneri, disciple indépendant de Rosmini, a rejeté son principe suprême. Il a posé, de son côté, les six lois fondamentales suivantes : l’unité, par rapport à la fin ; l’universalité, par rapport aux facultés ; l’harmonie, résultat des deux premières ; la gradation, entendue au sens rosminien ; la convenance de l’action éducatrice à la nature spécifique de l’élève et à sa fin prochaine et ultime ; enfin, comme conséquence des autres lois, la progression décroissante de l’action éduca-

  1. P. Siciliani, Rivoluzione e pedagogia, p. 160.