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vine bonté, dès les premières épreuves de la vie ? Étranges contes édifiants pour l’enfance, où le bon dieu de l’hirondelle est en même temps le bourreau des mouches !

M. Beaussire, chez nous, demande quel mot remplacera le « bon dieu » dans la bouche d’une mère corrigeant son fils. Mais l’explication ne contente que la mère et ne ferme pas toujours la bouche au marmot. Notre accommodation spontanée aux choses est un fait dont on ne voit pas assez la grande importance. Un garçonnet, à qui ses parents apprenaient la mort de son petit frère, répondit tout uniment : « Alors, papa, nous le mangerons demain ! » N’est-ce pas la destinée du pauvre agneau blanc pendu à l’étal du boucher voisin ?

Dans le dernier chapitre du livre, l’auteur nous ouvre ses nouvelles perspectives. L’idée de Dieu, selon lui, disparaîtra de la conscience humaine ; et, chose considérable en effet, les classes populaires ont fait de nos jours un grand pas vers l’athéisme, en étant venues à haïr Dieu comme dieu des riches. Faut-il tant s’en affliger ? Serions-nous de ces théologiens dont parle Feuerbach, qui pensent que tous les liens moraux sont rompus aussitôt que leur baraque théologique tombe en ruine ? Non certes, et nous voilà néanmoins sur le chemin du grossier matérialisme, de celui qui confine au pessimisme. Le pessimisme ! la bête noire qu’il faut tuer. Le croyant opposait du moins sa confiance en Dieu à l’inévitable dépréciation de la vie ; le non-croyant se montre faible, parce qu’on n’est chez soi, aujourd’hui, ni dans l’athéisme, ni dans le déisme. Supposons cependant, dit le Dr Duboc, que l’ombre de l’Église, selon le vœu de Strauss, ne soit plus dans notre chemin, « supposons qu’une conception nouvelle ait pris forme et figure, que la grandeur et la dignité de la vie en soi serve de fondement à nos idées morales et à leur emploi dans l’éducation de la jeunesse, que nous rendions à la vie sa pleine valeur esthétique, dans les formes du culte et dans nos fêtes publiques, où le sentiment naturel de chacun laisse si volontiers éclater la joie de vivre, et enfin que notre dernier acte ne soit pas accompli les yeux tournés vers les splendeurs cachées d’un paradis, mais dans la soumission à la grande loi qui condamne toute chose à disparaître dans le passé, je ne vois pas pourquoi notre manière de comprendre n’aurait pas un contenu essentiel et solide de moralité. »

Exposons à présent cette doctrine, cette conception optimiste du monde, qui permettrait à l’homme de goûter sans amertume au fruit de la vie, sans plus s’inquiéter, pour parler la grande langue de Lamartine, que