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L. ARRÉAT. — un athée idéaliste

ment moins vite que ne s’accumulent les effets de ce pouvoir.

En considérant les choses de cette façon, nous n’hésiterons pas à voir dans la décroissance de l’égoïsme une augmentation de la moralité, au moins au sens des effets ; nous ne serons plus trompés par cette apparence, que l’homme aurait avancé en intelligence et n’aurait pas avancé en moralité ; on ne s’achoppera plus enfin à opposer l’une à l’autre des séries d’effets qui ne sont pas comparables entre elles, et il suffira, pour lever la difficulté de l’inégal développement de la culture en ces trois domaines de l’art, de la moralité et de la science, de tenir compte de la nature différente de chaque pouvoir et de ses conditions d’expression, conditions qui viennent de l’individu et de la race, du milieu physique, et d’abord de la société même, milieu d’un déterminisme variable et supérieur.

C’est une nécessité logique (je reprends la suite des idées du Dr Duboc) que la moralité ne reste pas stationnaire. Maïs l’étude de la civilisation ne peut rien nous apprendre sur l’avenir de l’humanité ; nos inductions sont trop courtes pour cela. Seule une théorie de l’instinct nous assure du progrès moral, en nous faisant voir dans le bonheur un besoin qui se réalise sous l’aiguillon de la nécessité. Comme moralité plus avancée, il faut entendre « cette complexion intellectuelle dans laquelle sont pleinement développés le sentiment du beau, reposant sur le principe du plaisir et de l’amour — côté esthétique de l’homme, — et la conscience du devoir — côté moral… L’homme cherche le bonheur, et il ne peut le trouver que dans la moralité, parce qu’un tel accord représente la plus grande somme de bien-être. »

La philosophie moderne se borne à considérer le progrès de notre espèce sur le globe. Le Dr Duboc, on l’a deviné, veut qu’on en étende la notion au procès de l’univers. L’empêchement à cela n’est pas le manque d’un principe scientifique, il est plutôt, à son avis, la position prise par nous vis-à-vis de l’infini. Je ne peux me représenter le monde, dit-il, sinon enfermé en des limites ; mais sans cesse ma pensée rejette ces limites, et l’éternité, l’infinité est un désir positif de ma raison. Il aurait pu dire une nécessité, au sens mathématique, car l’infini et le fini sont, dans la pensée, deux moments corrélatifs, Ce n’est pas le hasard, toutefois, qui a amené ce mot « désir » sous sa plume, et il passe en effet de l’idée de la sommation sans limite assignable des finis, qui est affaire de notre raison, à l’idée d’un achèvement indéfini de l’humanité, qui est affaire de notre désir. Seulement il surgit ici cette difficulté, que le géomètre, quand il somme des espaces et des durées, envisage des quantités représentables, au lieu que le philosophe envisage des qualités et nous livre du pos-