Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 18.djvu/582

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
578
revue philosophique

rompt le cours normal de nos représentations, ébranle l’état d’indifférence du sentiment et le fait pencher du côté désagréable.

Tout droit repose en dernier lieu sur des contrats qui sont conclus sur la base des rapports de puissance[1]. Nous voyons que, dans le droit international, le droit découle de la puissance. Il en est de même dans la vie privée. Celui qui est plus fort en science ou en habileté manuelle parvient à une place plus remarquable que les autres. Avec le déplacement des forces se déplacent aussi les droits ; dans la vie internationale sous forme éruptive par suite de guerres, dans les relations sociales peu à peu et plus ou moins vite, selon le degré plus ou moins libéral de la législation[2].

Le mot puissance, poursuit l’auteur, ne désigne autre chose que les forces dont un individu ou une société individualisée dispose librement. La source fondamentale de toute puissance humaine se trouve dans les muscles volontaires. Mais tout travail musculaire est assez impuissant s’il n’est pas guidé par l’expérience. En se la procurant, c’est-à-dire en enrichissant son savoir potentiel, commence une accumulation de puissance.

Le déplacement de puissance le plus important pour la communauté résulte de l’inégalité des talents individuels, Des personnes dont le cerveau ne possède pas la faculté de répondre de suite à une certaine excitation par une représentation correspondante, sont toujours en arrière d’une idée et ne reçoivent rien là où d’autres ont, en agissant vite, agrandi leur fonds ou réserve de puissance, en fortifiant la bonne opinion que leurs concitoyens ont d’eux, car cette opinion peut être une troisième source de puissance.

L’auteur vient ensuite à parler des différences entre le droit moral et le droit politique. Les deux sont variables, seulement le premier (que la loi ne nous contraint pas à suivre) change lentement, tandis que le second est modifié par saccades par la voie de la législation[3].

L’auteur aborde en passant les différences qu’il y à entre les lois normatives et les lois naturelles, il dit simplement qu’une régularité empirique est une loi, lorsque nous voyons une puissance qui force pour ainsi dire les objets sur lesquels elle s’étend, à suivre la régularité

  1. M. Stricker considère la puissance comme du travail accumulé ou employé.
  2. Une législation libérale, dit l’auteur, tout en ne perdant pas de vue le sens relatif des mots libéral et conservateur, diffère d’une législation conservatrice : 1o par le degré de force ou par les obstacles qu’elle oppose à la promptitude du déplacement des droits, qui est la conséquence de chaque déplacement de puissance (Recht-und Machtverschiebungen) ; 2o par le fait qu’elle influe moins sur ce dernier déplacement même.
  3. La morale et le droit moral sont différents selon l’état de culture des peuples, la situation géographique de la contrée qu’ils habitent, ainsi que selon les différentes classes sociales d’un État, et cette différence est sans doute influencée par leurs occupations. Pour tenir compte de cette différence, la législation doit promulguer certaines lois spéciales ou bien ce sont les lois morales qui comblent la lacune.