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ressortant d’une lutte (Wettstreit), comme nous l’avons dit plus haut. Le juge expérimenté aura une idée plus large du droit que des personnes qui ne sont pas juristes.

Je dis que quelque chose est en contradiction avec mon idée du droit, quand, parmi les complexités qui surgissent de mon savoir potentiel, je n’en trouve pas une avec laquelle le fait en question soit en harmonie. Si ce cas m’intéresse vivement, j’exprime la désharmonie que j’éprouve, si elle dérange l’ensemble de mes représentations, le sentiment blessé du droit se révolte.

Lorsque nous avons affaire à des idées compliquées, nous avons l’habitude de simplifier le procédé, Il se rattache à un mot, un sentiment, une impression, dont nous nous contentons. En lisant le mot, nous éprouvons ce sentiment et cela nous aide à passer plus vite sur la chose, car, sans cela il nous faudrait résumer tout le contenu de l’idée, représentation par représentation. C’est ainsi que le mot hauteur fait éprouver à M. Stricker le sentiment de lever les yeux. En lisant la phrase : j’ai raison, il a le sentiment de mettre la main sur quelque chose. Nous croyons que c’est de même que l’opinion que nous nous formons des hommes se traduit en sentiment, lorsque nous lisons ou que nous entendons leurs noms. Des observations de cette nature se forment probablement, quoique différemment chez les divers individus selon la nature de leur commerce social, mais ils se rallient cependant à l’idée réelle (p. 101).

Après avoir établi que l’idée du droit comprend le droit moral et politique, ainsi que l’identité du droit moral avec le droit naturel et ce que les Allemands nomment parfois Vernunftrecht, l’auteur proteste contre l’idée de Hume, à laquelle est aussi arrivé de nos jours le célèbre professeur de Gœttingue, Rodolphe de Jhering (et nous pouvons l’affirmer, sans qu’il ait eu connaissance de l’idée du philosophe anglais), à savoir que toutes les lois morales ont pour but d’assurer l’existence et le salut (Wohlfahrt) de la société (Jhering)[1]. M. Stricker est d’avis que c’est bien la société qui mûrit l’idée du droit, mais il n’accepte pas l’idée téléologique de Jhering.

L’auteur s’occupe enfin du développement des idées du droit et les fait dériver du développement de l’individu. Il nous montre que déjà l’enfant passe tacitement certains contrats avec sa mère ; que dès nos premières années puissance et résistance se manifestent, pour former la base des idées de droit de l’enfant. La somme des expériences que l’enfant acquiert et dépose dans son savoir potentiel, relativement aux droits et aux devoirs, constituent sa conscience du droit.

Les types fondamentaux de l’idée du droit sont donc les mêmes pour

  1. V. l’article de Hume sur la justice dans son ouvrage : An inquiry concerning the principles of moral (London, 1754)  ; la remarque que fait M. Stricker dans l’annotation 2 de la page IX ; et l’ouvrage de Jhering, Der Zweck im Recht, Leipzig, 1883, — surtout la page 154 du 2e volume.