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ANALYSES.Strümpell. Esquisse d’une psychologie.

quels l’âme se forme un jugement, et elle les qualifie par ces termes, qui signifient pour elle, — vrai et non vrai. L’âme se montre, dans la causalité logique, tout à fait dégagée du mécanisme, bien plus, un monde supra-sensible s’ouvre maintenant devant elle, un monde aux destinées duquel président des esprits pensants, et qui n’est pas le jeu du hasard. L’âme produit et crée dans la sphère de la causalité logique, de même elle crée dans la sphère de la causalité esthétique.

C’est aussi l’âme qui qualifie l’action comme bonne ou mauvaise ; et il intervient ici un phénomène, celui du remords, qui n’a rien à faire, selon M. Strümpell, avec la causalité logique. Je lui reprocherai, à ce sujet, de séparer beaucoup trop profondément le domaine de la conscience morale d’avec celui de la logique ; je lui demanderai s’il aperçoit une différence si tranchée entre nos modes de raisonnement, selon que le jugement qui en résulte est d’un ordre ou de l’autre, et si notre esprit est plus libre de refuser un commandement moral que d’accepter que le plomb est plus léger que le bois ou l’huile plus lourde que l’eau.

La liberté du vouloir exige la conscience des causalités précédentes, au vouloir il faut une causalité libre, et le vouloir n’emporte pas plus la libre détermination de soi que le penser n’emporte le « logischen Werth ». Suit une assez longue dissertation, enveloppant ce lieu commun, que l’homme n’est vraiment libre que quand il sait ce qu’il fait.

L’auteur se défend de la métaphysique en psychologie, et il nous en donne pourtant une, li est vrai que c’est une métaphysique d’où toute notion obscure de substance est écartée, et où l’on n’a affaire qu’à des causalités, ce qui est plus simple. M. Strümpell a eu certainement le mérite de n’étrangler pas dans un corset taillé trop juste le monde phénoménal, et il dit avec grand sens, tandis qu’il discute Ia fameuse théorie kantienne de l’espace : « Le miracle n’est pas que des sensations de couleur nous donnent la longueur d’un pied, mais qu’il se passe en une seconde dans l’âme humaine des millions de sensations élémentaires qui se comportent l’une avec l’autre de façon à nous donner la conscience d’un espace. »

Lucien arréat.