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stricker. — note sur les images motrices

ma théorie, si elle ne reposait sur une erreur d’observation. Aussi l’examinerai-je de plus près.

Avant d’entrer in medias res, je prie le lecteur de porter son attention sur le point suivant. Quand, après une pause suffisante, je me forme l’image de la lettre P et du son qu’elle représente (indépendamment du caractère graphique) je ressens quelque chose dans les lèvres. Si je me forme alors l’image de la lettre R, je ressens quelque chose à la base de la langue, spécialement là où je devrais la soulever pour prononcer cette même consonne. Que l’on essaie maintenant de se former l’image successive et répétée de ces deux sons P. R, on trouvera que la sensation change avec l’image par exemple et qu’elle se reproduit aux lèvres ou à la base de la langue, selon que le P ou l’R a été la lettre imaginée. Que le lecteur essaie enfin de se former l’image simultanée de P et R, en observant aussi strictement que possible cette simultanéité, de peur de prendre seulement pour telle une succession très rapide, et je doute que le premier lecteur venu puisse parvenir, bien que je ne tienne pas le fait pour impossible, à se former l’image simultanée de P et de R.

Pour ma part je suis arrivé, après un certain exercice, à ce point de sentir, au moment même où je me représente le son P et où j’éprouve une impression correspondante dans les lèvres, l’image confuse du son R s’élever en moi. Mais, je le répète, je ne crois pas qu’il soit possible d’acquérir cette faculté sans exercice. Comment donc M. Paulhan pourrait-il lavoir ? Il n’est certainement pas inconcevable qu’il l’ait, mais j’en doute. Du moins, en ce qui regarde les voyelles, il s’est assurément mépris. Sans doute, si on allonge la voyelle A, elle s’assourdit et se dénature, et pendant cette prolongation on peut se former l’image de toutes les voyelles A, E, I, O, U. Mais je prie le lecteur de tenter l’expérience suivante : couchez-vous horizontalement dans une chambre complètement silencieuse, et, les yeux fermés pour pouvoir concentrer toute votre attention, en retenant votre haleine, essayez pendant cet arrêt de la respiration de vous former simultanément l’image des lettres A et O, ou A et U. Cela est impossible, et c’est en ce fait que consiste mon experimentum crucis à l’égard des assertions de M. Paulhan.

Quiconque est capable de se représenter simultanément, en astreignant sa respiration à une pause suffisante, les sons A et U, celui-là a le droit de regarder ma théorie comme non avenue. Je n’ai pas besoin du reste d’en appeler au jugement du lecteur. Une pareille simultanéité est absolument impossible, puisque les mêmes muscles employés à la formation de l’image auditive de A doivent servir aussi à celle de U. Or je ne saurais les innerver simultanément, comme il