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« nécessaire », comme le dit une note de l’éditeur. Ce changement, au contraire, déconcerte : on en cherche l’intention sans la bien voir, on est tenté de croire à des promesses qui ne peuvent que rendre plus exigeant. Pour quelques lecteurs qu’attirera peut-être le mot mariage mis sur la couverture de l’ouvrage, ne risque-t-on pas d’en fâcher d’autres et des plus sérieux, en leur donnant pour nouveau à ce point un livre qu’après tout ils se trouveront connaître ? Car enfin, on se demande en quoi le premier titre : Les Origines de la famille, a cessé de convenir au livre tel qu’il s’offre actuellement, et en quoi le titre actuel : Les Origines du mariage et de la famille, n’eût pas convenu à l’œuvre originale. La vérité est que le sujet est resté absolument le même, vaste et complexe, mais très net : il s’agit de rechercher dans les âges pré-historiques les antécédents des sociétés patriarcales, que l’histoire nous montre constituées dès le moment où elle commence, dans tous les groupes ethniques appelés depuis à la civilisation. L’idée dominante est la même aussi : c’est que, partis de la promiscuité absolue, longtemps l’unique loi dans leurs hordes confuses, les hommes se sont élevés lentement jusqu’au mariage régulier et à la famille patriarcale, par une série de degrés qu’il n’est pas impossible de retracer, soit qu’ils aient leurs analogues dans l’étal présent de certaines populations barbares, soit qu’on en retrouve des traces dans l’histoire même. L’auteur enfin n’a pas plus changé sa méthode que sa thèse, et nous sommes loin de lui en faire un reproche : tous les faits qu’il a pu recueillir (et le nombre s’en est fort accru), il les interprète de plus en plus résolument au point de vue évolutionniste.

Les réserves que nous avions cru devoir faire à ce sujet n’étaient pas, tant s’en faut, l’expression d’un parti pris inverse de notre part ; elles n’étaient inspirées que par un scrupule de logique, et n’avaient pour but que de rappeler à ceux qui pourraient s’en faire accroire sur la rigueur de ces inductions touchant les choses préhistoriques, ce qui leur manque pour être démontrées, ce qui fait qu’elles demeurent à l’état d’hypothèses. M. Giraud-Teulon le reconnaissant expressément avec autant de bonne grâce que de sincérité scientifique, nous avouons, de notre côté, que les postulats dont il a besoin nous paraissent très vraisemblables, que ce qu’il y a d’un peu arbitraire dans sa construction, je veux dire dans la partie de la doctrine évolutionniste qu’il fait sienne, n’excède nullement la part d’hypothèse nécessaire et permise dans les recherches de ce genre. Ainsi, pourvu qu’il soi bien entendu qu’on n’est nullement autorisé de plein droit à considérer les sauvages nos contemporains comme « les témoins attardés des âges primitifs », nous convenons, quant à nous, très volontiers que cette façon de voir nous semble beaucoup plus probable, plus conforme à toutes les analogies, que l’hypothèse suivant laquelle les sauvages modernes ne seraient tombés dans la condition où on les voit, que par suite d’une longue décadence devenue à la fin irréparable.

Il faut pourtant que notre auteur nous permette de trouver qu’il se