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secrétan. — la restauration du thomisme

de cette piété du moyen âge faite d’’ascétisme et de contemplation, qui est bien malgré tout une forme du christianisme, puisque c’est une forme de l’amour. Rien ne ressemble moins à la vie de Jésus-Christ, telle que les plus anciens documents nous la représentent, que celle de son disciple dans l’Imitation. Ce livre nourrira néanmoins l’activité pratique des chrétiens les plus généreux, parce qu’il “est tout pénétré d’un amour sincère, auquel, malheureusement, il ne sait assigner qu’un stérile emploi. Thomas touche à l’Imitation par quelques côtés de sa théologie, mais l’esprit général en est différent ; l’amour n’est pas le but à ses yeux ; l’amour n’exprime pas la nature divine. Tout pour lui revient à l’intelligence, la pensée de la pensée a fasciné son âme ; le dernier mot de sa théologie est dicté par le paganisme.

VI

Le moyen âge compte bien des penseurs mieux pénétrés de l’Évangile. Duns Scot, dont les nouveaux thomistes parlent le moins possible, a jeté les bases d’une véritable métaphysique chrétienne. L’objet de ce franciscain n’est plus de faire entrer la pluralité des Idées dans l’acte pur d’Aristote, puis de presser les formules de la foi chrétienne dans le cadre de ce péripatétisme platonisant. Il n’emprunte rien au Stagirite hors les éléments d’une terminologie qu’il façonnera suivant ses besoins. Loin de restreindre le programme d’Anselme, il l’élargit ; le sien n’est pas seulement de comprendre la substance de la foi, mais de la justifier, de la démontrer aux incrédules. À ses yeux d’ailleurs, le dogme n’est pas fermé, l’esprit vivant dans l’Église peut s’y manifester par des productions nouvelles. Il ne reconnaît donc pas d’autorité ; il est franc même du préjugé de la libre pensée, à laquelle certaines solutions sont interdites, pour la raison qu’elles furent autrefois admises. Son effort ne va pas à dissoudre le fait en idée en ramenant la contingence à la nécessité ; le problème vital lui semble au contraire de bien comprendre comment il arrive des choses qui auraient pu ne pas arriver. Rien ne saurait importer davantage à la théologie, car la théologie a pour objet l’œuvre du salut, c’est-à-dire précisément une chose qui aurait pu ne pas arriver, et qui est arrivée. C’est donc le contingent qu’il faut expliquer avant tout ; or la cause du contingent ne peut être que contingente