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société de psychologie physiologique

diant, dont nous avons parlé plus haut, a présenté plusieurs fois de l’aboulie. Pendant son dîner, quelques heures après avoir pris l’essence, son pied ayant rencontré celui d’une autre personne assise à côté de lui, il le retire, puis ne sait plus que faire ; se demande s’il faut le tenir levé ou l’abaisser et reste ainsi hésitant un bon moment. De même il ne peut, à plusieurs reprises, tendre son assiette pour se faire servir, quoiqu’il le désire.

Une autre forme d’aboulie, c’est l’impulsion involontaire, irréfléchie, subite. L… ayant pris 3 grammes de Dawamesc et se trouvant au laboratoire, voit une petite chienne qui est devant lui (celle-là même qui avait pris 12 grammes de Dawamesc la veille). Brusquement, il la saisit par la peau du cou et la jette au milieu de la pièce. Quand on lui demande la raison de cette action bizarre, il dit : qu’il n’y a été pour rien et qu’il a cru que c’était une autre personne qui agissait ainsi, qu’il regrette d’ailleurs son action. Nous avons vu chez le même sujet et chez un autre se produire d’autres impulsions.

Si on rapproche ces faits de l’abondance des idées, de leur mobilité, on voit qu’il y a comme un commencement de désintégration de la conscience. Pour que nous ayons conscience d’une idée et conscience du moi, il faut un certain degré d’attention ; il faut que l’idée demeure quelque temps dans le champ de vision mentale. Or, dans l’hyperidéation hachichique, l’attention est trop distraite par l’abondance et la rapidité des idées, pour que la conscience ne subisse pas un commencement d’altération.

Notons un dernier phénomène qui établit une ressemblance curieuse entre l’intoxication de l’homme et celle du chien. Un chien qui a pris du Dawamesc témoigne une frayeur vive au moindre mouvement qu’on fait. Si l’on approche la main de ses yeux, involontairement il détourne la tête et cligne des paupières, comme s’il y avait une exagération maladive de l’excitabilité sensorielle. On peut appeler réflexe psychique de fuite le mouvement qu’on fait pour se soustraire à une excitation. Ce réflexe psychique est exagéré d’une curieuse manière chez l’homme. Un de nos sujets en expérience, R…, poussait des hurlements de terreur lorsqu’on lui proposait de le piquer avec une épingle, pour apprécier l’état de sa sensibilité, De même, la vue d’une salamandre lui inspira une terreur épouvantable, avec gestes, cris, contorsions et hurlements extraordinaires.

Dans l’un et l’autre cas, chez le chien comme chez l’homme, il s’agit là d’une excitabilité réflexe exagérée. Mais ce sont des réflexes psychiques, car le hachich porte son action sur les centres psychiques avant d’agir sur la moelle. Il y a un certain intérêt à rapprocher cet état de quelques phénomènes psychiques de l’hystérie (excitabilité affective et impossibilité de la réprimer).

Cette excitabilité affective n’existe pas au même degré chez tous les sujets hachichés. Il y en a chez lesquels c’est l’excitabilité intellectuelle qui domine. Ces variations tiennent évidemment à la variété même des dispositions mentales.