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BEAUNIS. — l’expérimentation en psychologie

Au fond l’automatisme est absolu et le sujet ne conserve de spontanéité et de volonté que ce que veut bien lui en laisser son hypnotiseur ; il réalise, dans le sens strict du mot, l’idéal célèbre : il est comme le bâton dans la main du voyageur. Aussi contrairement à l’opinion de Pitres (Des suggestions hypnotiques) je serais disposé à admettre en principe l’irresponsabilité des somnambules. On a bien signalé et on trouvera dans les Mémoires de Bernheim et de Pitres des exemples de résistance à l’impulsion suggérée ; mais ces exemples sont rares et je suis convaincu que par un exercice gradué et une sorte d’éducation, on pourrait toujours arriver à faire exécuter à un somnambule l’acte qui répugne le plus à son caractère. Aussi Pitres lui-même est-il forcé d’admettre que « le médecin appelé à donner son avis sur le degré de responsabilité d’un sujet convaincu d’avoir accompli un acte délictueux ou criminel sous l’influence de suggestions hypnotiques, devra toujours conclure à l’irresponsabilité légale de l’accusé ».

Quoi qu’il en soit, il n’est pas hors de propos d’étudier la façon dont les hypnotisés peuvent résister aux suggestions et les divers procédés qu’ils emploient dans ce but, en un mot les causes qui font que, dans certaines conditions, les suggestions ne réussissent pas. Je commencerai par deux observations qui montrent des exemples de ces résistances à la suggestion et qui sont du reste intéressantes à plusieurs points de vue.

Mlle A… E… est endormie par simple affirmation « Dormez ». Une fois endormie je lui dis : Écoutez-moi bien ; quand vous serez réveillée, vous irez dans la salle à manger, vous ouvrirez la porte d’en bas du buffet et vous prendrez dans le panier à argenterie une petite cuiller d’argent. Puis quand vous l’aurez prise, comme vous aurez peur qu’on ne la trouve sur vous, vous la mettrez dans la poche de votre amie sans qu’elle s’en aperçoive (son amie, Mme H… A… était présente). Vous ne vous rappellerez pas que c’est moi qui vous l’ai dit et si on vous demande quelque chose à ce sujet vous ne saurez rien. — Puis je la réveille. Au bout d’un instant sa figure exprime une véritable anxiété ; elle nous regarde d’un air singulier, puis après un moment d’hésitation elle se lève et va d’un pas délibéré dans la salle à manger. Nous l’entendons ouvrir le buffet, puis un bruit d’argenterie remuée et un peu après un bruit de papier froissé. Ensuite elle revient dans la pièce où nous étions ; elle est très rouge et paraît très émue. — Que faisais-tu là ? lui demande Mme H… A… — Moi ? rien. — Et elle continue à causer avec nous le plus naturellement du monde. — Nous sortons et faisons un tour de promenade dans le jardin. Voyant au bout d’un