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des sensations visuelles et auditives, et les correspondances des phénomènes physiques qui occasionnent ces sensations. L’objet de la présente étude est de rechercher si cette discordance est réelle, et, dans le cas de l’affirmative, si elle peut être expliquée. La première partie de notre tâche, et la plus facile, est de reconnaître avec exactitude les correspondances objectives des deux ordres de phénomènes.

Deux vibrations de même nature peuvent différer l’une de l’autre par la grandeur et par le nombre dans l’unité de temps. La grandeur détermine l’intensité du son ou de la lumière ; le nombre des vibrations dans l’unité de temps détermine la hauteur du son ou la couleur de la lumière. Nous sommes ainsi en présence de deux correspondances absolument rigoureuses.

Si maintenant nous examinons comment la peinture et la musique coordonnent les deux sortes de vibrations, nous remarquons que la première les coordonne dans l’espace, et la seconde dans le temps. Nous ne pouvons donc plus trouver ici de corrélation parfaite ; mais il y a cependant un rapport évident entre les divisions du temps et les divisions de l’espace. La division du temps constitue, dans la musique, le rythme et la mesure, la division de l’espace produit la forme ou le dessin.

Mais la peinture et la musique ne se bornent pas à juxtaposer les couleurs et les sons dans l’espace ou dans le temps : elles les superposent encore, c’est-à-dire qu’elles combinent deux ou plusieurs vibrations distinctes. Sans discuter dès maintenant les divers effets produits par ces combinaisons, nous rappellerons que, tandis que deux sons simultanés sont distingués par l’oreille, deux couleurs superposées engendrent une autre couleur semblable à une troisième couleur simple, en sorte que cette superposition ne produit aucun effet nouveau. Ces affirmations générales sont cependant trop absolues ; d’une part, en effet, lorsque l’on superpose des sons répondant à des nombres de vibrations qui soient des multiples de l’un d’entre eux, il arrive, surtout si les sons supplémentaires ne sont pas trop intenses, que l’oreille ne distingue que le son fondamental, en lui reconnaissant seulement un timbre particulier. Il résulte de là que la superposition des sons produit non seulement des effets d’harmonie, mais aussi des effets de timbre. D’autre part, il n’est pas exact que la superposition de plusieurs couleurs n’engendre qu’une couleur identique à une couleur simple, car il n’existe pas de lumière blanche simple. Le cas où la superposition produit du blanc est un cas particulier, mais un cas très général est celui où la lumière résultante est un mélange de lumière blanche avec une