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CH. SECRÉTAN. — évolution et liberté

de choses dont il prévoit toutes les conséquences au moment qu’il l’institue est responsable de ces conséquences, dont il est véritablement l’auteur. Mais il nous semble que la logique de ce panthéisme mal dissimulé n’est pas la logique véritable, son point de départ nous paraît faux. Il nous semble que l’incapacité de se limiter n’est pas signe de perfection et de puissance, mais bien plutôt d’impuissance et d’imperfection. Il nous semble que l’intelligence infinie est inséparable de la puissance infinie, et que la puissance infinie implique formellement le pouvoir de se limiter soi-même et l’intelligence, de sorte que la prescience absolue et universelle ne saurait être envisagée comme une conséquence inévitable de l’idée de Dieu. Quoi qu’il en soit, il est certain qu’on ne peut pas absorber en Dieu toute la réalité, toute l’activité positive de la créature sans faire de Dieu l’auteur du mal, c’est-à-dire sans nier le mal. Il n’est pas moins certain qu’on ne saurait absorber la créature en Dieu sans rendre impossible toute relation librement instituée entre elle et Dieu. Ainsi la morale et la religion ne sont pas moins menacées dans les premières conditions de leur existence par le panthéisme inconscient des théologiens que par le panthéisme conscient des naturalistes. Suivant la pure doctrine calviniste, il n’y a pas plus de libre arbitre dans l’homme que dans la pierre, comment elle accorde ce sentiment avec l’idée d’un jugement à venir et d’un salut indispensable, je suis encore à le demander.

Il n’est pas si facile qu’on le croit peut-être de répudier cette tradition : pour la conjurer effectivement, il faudrait mettre à sa place quelque chose de compréhensible. La pensée ne saurait partir du fini sans partir du relatif et par conséquent sans se contredire ; car le fini pose une limite ; il n’est donc jamais seul et ne peut à lui seul fournir un point de départ. Mais quand la pensée veut partir de l’infini et de l’absolu, elle part de l’incompréhensible. Quand elle veut partir de l’infini, de l’absolu, il se trouve qu’elle ne peut pas aller plus outre, parce que, plus outre, il n’y a rien. L’esprit a fait des expériences qui lui démontrent l’extrême difficulté de concevoir, à côté de l’être premier existant par lui-même, la réalité d’un second être qui n’existe pas par lui-même, mais qui existe par le premier. Cette difficulté n’étant pas aperçue du plus grand nombre, elle ne l’arrête point, mais généralement ceux qui s’y sont pris une fois ne s’en débarrassent plus. Le grand nombre n’attache pas de sens précis aux mots qu’il emploie, ce qui lui permet de les prendre dans plusieurs sens et de passer d’une acception à l’autre sans se douter du changement. Il dit que Dieu est éternel, infini, tout-puissant, tout bon ; mais il accepte souvent des opinions incompatibles avec cette