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l’origine du criminel ; mais que de fois le vrai a paru moins éclatant que le faux !

Sans doute aussi la femme présente une plus grande analogie avec l’homme primitif, et, partant, avec le malfaiteur ; mais sa criminalité n’est pas inférieure à celle de l’homme, quand la prostitution vient s’y joindre.

Je me permettrai de relever une autre inexactitude de peu d’importance : je suis accusé, par vous, de regarder le criminel comme un mattoïde. Le mattoïde constitue à mes yeux[1] une variété spéciale de l’espèce humaine, entre l’homme de génie, l’imbécile et le monomane ; il se distingue par la conservation de l’affectivité et du sens moral, à quoi il joint une bonne dose d’astuce : mais il prétend s’occuper de choses qu’il ignore et dont il est incapable ; il est convaincu d’être un homme de génie, un apôtre. Daudet l’a admirablement étudié dans tous ses romans ; son d’Argenson en est la représentation plus exacte.

Il est vrai qu’on ne voit pas seulement des criminels-nés : il y a encore l’avocat-né, le militaire-né, et Delaunay a créé le prêtre-né, etc.

J’ai démontré dans mon Génie et folie, que ce qu’on appelle génie est l’effet d’une névrose spéciale qui a des points de contact avec la folie morale, l’épilepsie, etc, sans toutefois se confondre avec elles. Mais ces caractères me paraissent moins acquis que congénitaux. La profession continuée aura pu provoquer, où mieux cristalliser certains gestes, certaines attitudes, mais non créer le type physionomique. J’ai vu des évêques ayant des physionomies de libertins ou de dandys.

À l’objection très juste de M. Tarde, que les sauvages ne sont pas toujours bruns, ni d’une taille élevée, et que la fossette occipitale se peut rencontrer chez des peuples peu portés au crime, comme les Arabes, et les Juifs, et faire défaut chez d’autres plus barbares, j’ai déjà répondu[2] en citant cette loi, que les anthropologistes devraient mieux observer :

À savoir : que les anomalies ataviques ne se rencontrent pas toutes avec la même abondance dans les races les plus sauvages ; mais que, plus fréquentes néanmoins Chez elles que chez les peuples plus civilisés, elles varient dans la proportion, sans que l’absence de l’une ou de l’autre puisse être regardée comme une marque de la plus grande infériorité dans la race. Ainsi, deux anomalies ataviques, celle de l’os de l’Inca et de la fossette, se rencontrent ensemble chez des races à demi civilisées, comme la race américaine, et sont rares chez les nègres, pourtant plus barbares. Voir Anutchine (Bull. soc. Moscou, 1881). En outre, la proportion des Sémites que l’on a pu étudier est trop faible pour que l’on puisse en tirer une conclusion. Du reste ; soit que l’on étudie en eux-mêmes ces cas dont je parle, où la maladie ne se montre que par instants, et le plus souvent obscurcit toute trace d’atavisme, soit que l’on porte ses regards au dehors, quand on veut retrouver la loi de

  1. Genio e follia, 4e éd. 1882.
  2. Revue scientifique, 1883.