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revue générale. — p. tannery. L’exégèse platonicienne.

d’écrits étrangers, soit des citations de Platon par des contemporains : à défaut de pareilles données, il faut rechercher les allusions indirectes, plus conformes aux habitudes de l’époque. Le difficile n’est pas de découvrir de telles allusions dans les écrits de Platon du moins, qui en fourmillent à vrai dire, mais c’est de discerner à quoi elles se rapportent ; pour réussir, il faut connaître à fond toute la littérature contemporaine, il faut surtout posséder la merveilleuse sagacité de Teichmüller.

Les règles qu’il applique ne sont autres, au fond, que celles de la véritable critique historique, adaptées à l’état spécial de la question ; ces règles, on le sait, ne conduisent que bien rarement à ia certitude complète ; on ne doit se proposer comme but que d’augmenter autant que possible la probabilité des conjectures ; une coïncidence entre deux écrits, par exemple, qui fait croire à une allusion, ne donne en fait qu’un résultat assez incertain ; mais à mesure que le nombre des coïncidences augmente, la probabilité croit rapidement (en progression géométrique) et elle atteint bientôt le degré qui équivaut, pour l’historien, à la certitude. C’est dire que les résultats obtenus par Teichmüller peuvent n’être pas tous définitifs ; mais ce sont, en tous cas, des éléments dont tout travailleur futur devra tenir compte, au moins pour les expliquer par de nouvelles hypothèses ; l’on possède désormais, ainsi que je le disais en commençant, une base assurée d’où l’on peut partir, un ensemble de données que l’on pourra améliorer, mais non remplacer par d’autres.

Teichmüller n’est certainement pas le premier qui ait cherché à deviner les allusions plus ou moins obscures des écrits de Platon, et qui se soit servi de cette divination pour l’exégèse platonicienne ; mais c’est le premier qui l’ait employée systématiquement pour résoudre le problème chronologique, et lui ait, par suite, donné toute l’importance à laquelle elle a droit. Jusqu’à présent, son exemple n’a été suivi que par Alessandro Chiappelli, qui a particulièrement étudié en 1882, dans un ouvrage dont j’ai rendu compte ici même, les rapports entre Aristophane et Platon[1], Mais on attendait avec impatience que l’illustre professeur de Dorpat donnât la suite nécessaire du travail qu’il avait entrepris.

Le nouveau volume qu’il vient de publier n’est pas le dernier ni même l’avant-dernier de ceux qu’il nous doit et que nous pouvons espérer de lui. Les résultats qu’il nous communique ne sont pas encore complets ; tous ne sont pas non plus suffisamment développés pour être unanimement acceptés sans nouvelles preuves à l’appui. Mais pour juger de leur importance, il suffira de donner ia liste chronologique des dialogues aujourd’hui classés par Teichmüller ; dans cette liste, ceux dont la date n’avait point été déterminée dans le premier volume, sont imprimés en italique.

  1. Le Ecclesiazuze di Aristofane e la Republira di Platone. Voir la Revue philosophique de juillet 1883.