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ANALYSES.lévy-bruhl. L’Idée de responsabilité.

pour ainsi dire, y avoir aucune part, il prend en main la direction de soi-même et choisit, détermine, et peut-être crée le but qu’il veut atteindre, avant de faire les efforts qui l’y conduiront. Liberté du jugement et de l’action, telle est donc la condition de la moralité ou peut-être la moralité même. Dès lors, comment pourrait-on séparer la responsabilité de la moralité ? Si responsabilité signifie qu’on se reconnaît l’auteur d’un acte moral, l’agent moral est responsable ; et même il n’est un agent moral que dans la mesure où il reconnaît sa responsabilité.

Mais responsabilité signifie plus encore : comment serait-il possible, en effet, que la loi fût obligatoire, sans que l’accomplissement ou la violation volontaire de ses ordres entraînât la perfection ou l’imperfection morale de l’agent ? et quel sens aurait le devoir, si l’homme ne devait point aboutir, en le respectant, à une augmentation de sa valeur morale, en le violant, à une diminution de cette même valeur ? Il semble qu’il y ait une sorte de relation nécessaire, relation toute morale d’ailleurs, et quasi-juridique, entre l’accomplissement respectueux du devoir, parce qu’il est le devoir, et la perfection, comme entre la violation consciente de la loi morale et l’imperfection ; si bien que cette relation apparaît à nos yeux comme un droit, et que le mérite et le démérite se trouvent, en définitive, appuyés sur le principe de la justice elle-même, qui est de rendre à chacun ce qui lui est dû (pp. 1 à 7).

Ainsi, responsabilité paraît impliquer tout à la fois : 1o liberté, ou causalité absolue et première de l’agent moral ; 2e mérite, c’est-à-dire justice et sanction. À vrai dire, toute la thèse de M. Lévy est dans la critique de ces deux caractères ; et, pour le dire tout de suite, affirmant et niant tour à tour la portée de l’analyse qui les retrouve, il conserve à la responsabilité ses traits essentiels lorsqu’il la voit dans l’absolu de la pure moralité, et les lui refuse lorsqu’il la considère chez le seul homme pourtant qui nous soit accessible, l’homme soumis aux conditions de l’espace, du temps et du plus inflexible déterminisme.

I. L’homme en effet, pour M. Lévy, est double : « Homo simplex in animalitate, duplex in humanitate » ; que, en qualité d’être vivant ou même intelligent et pensant, il tombe sous l’application de lois biologiques et psychologiques déterminées, et que ces lois, comme toutes les lois possibles, soient en dernière analyse l’expression partielle d’un déterminisme universel, rien n’est, à son avis, plus exact, ni plus facilement acceptable du philosophe ; car n’est-il pas vrai que les lois cherchées et découvertes par la science ne sont que les formes mêmes de l’intelligibilité, appliquées par l’esprit aux choses qu’il connaît, en conséquence de sa constitution ? Et convient-il de s’effrayer outre mesure d’un déterminisme, qui n’est après tout que « l’ombre portée par l’esprit sur tout objet de pensée » (pp. xiv et 126) et qui ne saurait atteindre la véritable et profonde réalité ?

Mais l’homme soumis au déterminisme n’est pas tout l’homme. Si, par un certain côté, comme les êtres inférieurs il subit l’étreinte des