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l’état de veille, peu importe), quand les suggestions, dis-je, doivent avoir leur réalisation, non immédiatement, mais à longue échéance. En voici quelques exemples. Je dis à Mlle A… E… (suggestion faite à l’état de veille) : Cette après-midi, vous dormirez cinq minutes toutes les heures. La suggestion se réalise et le lendemain elle se rappelle très bien qu’elle a été surprise toutes les heures par le sommeil et que chaque fois elle a dormi cinq minutes, comme l’a constaté du reste son amie, qui travaillait dans la même pièce qu’elle. On dit à un sujet : Vous viendrez me trouver tel jour, à telle heure ; il vient à l’heure dite et se souvient parfaitement après de sa visite. Pour les rêves suggérés, il en est de même. On suggère à Mlle A… E… que, la nuit suivante, elle rêvera qu’elle pêche à la ligne et qu’elle prend beaucoup de poisson. Le rêve a lieu comme il avait été dit, et le lendemain matin, elle se rappelle fort bien tout ce qu’elle a rêvé et nous raconte les incidents et les détails de la pêche qui lui a été suggérée. Il semble que la perte du souvenir ne s’étende qu’à un certain laps de temps (plus ou moins long et à déterminer) après l’intimation de la suggestion.

Je passe maintenant à un autre côté de la question. La mémoire est-elle surexcitée dans le somnambulisme provoqué ? Cette sur-excitation a été observée, comme on sait, dans le somnambulisme naturel, et je ne m’arrêterai pas à répéter les exemples qui se trouvent partout, tel que celui de cette servante de curé qui parlait hébreu dans ses accès de somnambulisme. Dans le sommeil hypnotique, il est incontestable que cette surexcitation existe et j’en ai cité un cas au début de cet article ; on a vu que les sujets, pendant le sommeil provoqué, se rappellent avec une très grande précision des détails de leur existence qui leur échappent complètement à l’état de veille. Mais il faut faire une distinction. Dans la mémoire, il y a deux choses : il y a d’abord la facilité avec laquelle une impression quelconque se fixe dans le cerveau et il y a ensuite la facilité avec laquelle cette impression, une fois fixée, revient à la conscience ou autrement dit, ce que les Anglais appellent la recollection. Cette seconde aptitude est évidemment augmentée dans le sommeil hypnotique. Pour la première, je ne saurais être aussi affirmatif. J’ai essayé plusieurs fois des expériences sur quelques somnambules pour décider la question et en particulier sur Mlles A… E…, Louise D…, et sur Mme K… Je leur lisais, pendant le sommeil provoqué, une série de chiffres ou de lettres que je leur faisais répéter soit pendant le sommeil, soit après le réveil, en leur suggérant de les retenir, et je n’ai jamais obtenu de résultats dignes d’être mentionnés. La mémoire (fixation des impressions) ne m’a pas paru