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pour unique office d’annoncer à l’âme consciente que cette impression, et non telle autre, a décidé le mouvement, Des impressions peuvent décider le mouvement avant d’être conscientes, puisque, dans les expériences de Wundt, le sujet enregistre une impression accidentelle autre que celle qu’il attendait. Wundt explique la chose par l’innervation des centres moteurs, due à l’attention, qui les rend dociles au moindre choc. Mais pourquoi ajoute-t-il que le geste part en ce cas d’une aperception non remarquée ? C’est plutôt encore dans le cas de l’impression attendue que l’aperception consciente suit le geste au lieu de le précéder. Le sujet se tient prêt à enregistrer, par exemple, une sensation auditive, et il se tient en garde d’enregistrer une sensation visuelle ; si néanmoins il enregistre la dernière, il faut en conclure que la conscience du mouvement à exécuter était moins vive chez lui qu’au début de l’expérience, et il faut admettre aussi que l’impression visuelle, consciente après coup, a été inconsciente auparavant. Le sujet, en somme, est plus disposé à enregistrer qu’à se garder d’un faux enregistrement. L’enregistrement erroné ne suppose pas la conscience de l’impression enregistrée, encore moins celle de l’impression attendue. Le temps psychologique reste donc en dehors du temps de la réaction, et le temps mesuré est celui qui est nécessaire pour amener l’impression à faire masse, à être saisie.

Il serait trop long de noter maintenant et d’expliquer, avec M. Lipps, les circonstances qui peuvent avancer ou retarder le temps psychologique (chap.  IX et X). Je ne peux pas davantage étudier avec lui les rapports particuliers à certaines espèces de représentation comme sont les rapports des sons et des couleurs, et je me borne à relever ici, en exemple de sa tendance à dégager partout l’action originale de l’âme, sa critique de l’explication donnée par Helmholtz, et toute fondée par celui-ci sur l’état de l’organe, du fait que les intermittences des sons fatiguent l’oreille comme les vacillations de la lumière fatiguent l’œil. M. Lipps invoque, à son encontre, la préférence de l’âme, qui n’aime pas plus les intermittences de son que les discours hachés (sorte de fait où l’intervention du nerf est accessoire) ; elle est portée à continuer son action, et si elle est trompée dans son attente, si l’excitation est coupée, il en résulte pour elle une souffrance. Il pose constamment le « tout psychique » comme bien ou mal disposé, ami ou hostile à l’égard de n’importe quelle impression (chap.  XI et XII).

D’une façon plus générale, le corps fournit les excitations, et l’âme en fait ce qu’elle en peut faire. On peut concevoir enfin une vie psychique totale, composée de toutes sortes de résonances, où chaque stimulation déterminée se trouve renforcée ou refoulée à chaque instant par un système de vibrations incessantes, selon que les rythmes sont semblables ou différents. Et si l’on fait rentrer les éléments isolément considérés dans les connexions du phénomène pris en son ensemble, on reconnaît cette fois une tendance remarquable des représentations à s’écouler dans la vie psychique générale, par où le contraste des états