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« ce degré inférieur de preuve inductive », comme l’appelait encore Stuart Mill.

V. Fusions et complications des représentations. — Le résultat principal de la fusion graduelle d’éléments pareils appartenant à un même sens et de la complication d’éléments appartenant à des sens différents est de nous donner l’espace tactile et l’espace visuel, Cette partie de l’ouvrage de M. Lipps traite donc d’abord de la genèse de notre notion d’espace, et la critique de la théorie des signes locaux de Lotze y occupe nécessairement une grande place.

Le signe local ne peut s’entendre que comme un rapport, parce qu’il n’y a pas d’espace sans un rapport de choses dans l’espace, et en effet l’interprétation de Wundt, qui fait dépendre les signes locaux de la richesse nerveuse différente des diverses parties de la peau, revient à prendre ces signes pour des rapports qualitatifs. Mais ces simples rapports ne suffisent pas à expliquer l’espace tactile, et il nous faut recourir encore à la considération des rapports acquis ou « devenus » (chap.  XXI).

Wundt fait sortir l’espace tactile d’une synthèse des sentiments d’innervation avec les signes locaux qualitatifs. M. Lipps conteste que cette synthèse donne aucun produit nouveau ; et les sentiments d’innervation, dit-il, peuvent servir seulement à ordonner les éléments dans l’intérieur de l’espace tactile (chap.  XXII). Quant à la vision, il refuse l’influence directe des mouvements de l’œil sur la grandeur des images. L’influence de ces mouvements n’est qu’indirecte, dans le cas, per exemple, où ils concourent à l’appréciation de la grandeur réelle d’un homme vu à une certaine distance, par le moyen d’expériences préalables suffisamment précises. Le rôle de l’expérience est visible encore dans le fait du louche qui voit double après guérison et qui est obligé de refaire à nouveau l’adaptation de ses yeux, c’est-à-dire de combiner les efforts nécessaires pour amener l’objet, dans les deux yeux, sur la tache jaune (chap.  XXII).

Jusqu’ici, notre espace est à deux dimensions. Suivant M. Lipps, la troisième dimension est un fait que j’accepte pour accorder ma perception d’espace réelle avec mes expériences précédentes. Si je fais tourner un bâton sur son point médian situé dans l’axe du plan de la vision, de manière à éloigner de l’œil, soit son extrémité supérieure, soit son extrémité inférieure, chaque grossissement de l’objet, en cette expérience, m’oblige à prêter à l’image que je vois plate la signification d’une image profonde. Ce sont de simples illusions qui nous portent à attribuer à la réunion de deux images en une seule dans la vision binoculaire la notion que nous avons de leur profondeur. Cette notion a toujours sa cause dans l’expérience (chap.  XXIV). Interviennent maintenant les complications (chap.  XXV). Des espaces qui s’excluaient comme différents ont pourtant une valeur commune. Non seulement notre espace visuel et notre espace tactile se sont élargis, mais nous concevons l’espace un, et la question glisse du terrain de la