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LAFARGUE. — origine de l’idée du bien et du juste

n’est pas préconçu par un être surnaturel, qui en surveillerait la réalisation : — le mouvement dialectique des phénomènes engendre ce plan. Une fois ce plan découvert, on constate que les phénomènes de même nature et de même milieu suivent fatalement la même marche évolutive. — Si l’on parvenait à trouver la méthode suivie par un peuple quelconque dans la formation de ses idées, elle serait, du moins dans ses grandes lignes, celle employée par tous les peuples parvenus au même degré de développement.

II. — Idée du bien.

Dans les langues européennes, les mots qui désignent les biens matériels et ce qui est en ligne droite, désignent aussi les vertus morales et ce qui est juste. Le fait est digne de remarque, bien qu’il soit peu remarqué ; mais ainsi il en va d’habitude avec les faits journaliers, ils sont les derniers à attirer l’attention. — Comment la langue vulgaire et la langue philosophique ont-elles pu confondre sous le même vocable le matériel et l’idéal ? — La matière se serait-elle transmuée en idée ? — Comment s’est accomplie cette transmutation ? — Qui répondrait à ces questions contribuerait, je crois, à la solution du problème de l’origine des idées. — Je vais essayer d’y répondre.

Ἀγαθός, vertueux, etc., τὸ ἀγαθόν, le Bien, τὰ ἀγαθά, biens, richesses.

Bonus, vertueux, etc., bonum, le Bien moral, bona, biens, etc.

De même, en anglais Good, goods ; en breton Mad, pluriel madou, etc.

Ἀγαθός, ἐσθλός, veulent aussi dire brave, courageux, noble.

Bon ne réveille pas toujours, en français, l’idée de bonté, de douceur ; exemple : un bon coup de poing ; une bonne maladie, etc. Ces locutions populaires préservent la signification primitive du mot. Dans l’ancienne langue, Bon, en tant que substantif, se prenait pour biens, faveurs, profit, avantage, volonté, etc.[1]. — Bonhomme (bons homs), voulait dire homme brave ; pendant la Jacquerie, il signifia « le pire des pires » ; on nommait les magistrats des villes des bons homs ; les chefs de la République florentine du xiiie siècle des buoni uomini.

Goodman, bonhomme en anglais, impliquait une idée de supériorité ; il se disait pour maître de maison, chef de famille. Après avoir caractérisé l’homme d’armes, il finit, ainsi qu’en français, par dé-

  1. La Curne de Ste-Palaye, Dictionnaire historique de l’ancien langage françois, etc,