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LAFARGUE. — origine de l’idée du bien et du juste

contradictoires, mais qui sont complémentaires et se rattachent au partage agraire.

1o ὀρ, idée d’aller en droite ligne.

ὀρ-θός, droit, dressé, vertical ; par extension, équitable, juste ;

ὀρ-μή, mouvement en haut, essor, élan, passion ;

ὀρ-νυμι, ὀρ-μαω, etc., mettre en mouvement, exciter ;

οὐρ-ος, borne, sillon ;

ὄρ-υγμα , fossé, fosse, galerie souterraine, etc. ;

ὄρ-υξ, pioche, instrument pour creuser ;

οῦρος, prospérité, bon vent ;

ὀρ-θοω, redresser, relever, etc. ;

ὀρ -θώσιος-Ζεύς, Jupiter qui redresse ;

2o ὁρ, idée de borner, de limiter.

ὅρ-ος, borne ;

ὅρ-ίζω, borner, limiter, définir, statuer ;

ὅρ-ιος, relatif aux limites, ce qui sert de limite. Ζεῦς ὅριος, Jupiter, protecteur des limites ; Θεός ὅριος, Dieu terme.

3o ορ, idée de vigilance.

οῦρ-ος, garde, gardien ;

τιμα-ὀρ-ος, celui qui punit, qui venge ;

ὀρ-ομαι, surveiller, garder.

Les terres divisées par des lignes droites et distribuées, la part de chaque famille était limitée par un sillon ou un fossé (οὐρος, ὄρυγμα), au bout duquel on plaçait une borne (ὃρος) qui devenait le surveillant, le gardien de la part de chacun. Les bornes n’étaient d’abord que des tas de pierres, des troncs d’arbres ou des blocs informes de pierre ; ce n’est que plus tard qu’on leur donna la forme de piliers à tête humaine, auxquels on ajoutait parfois des bras.

La borne devint le dieu Terminus, un des plus anciens dieux latins ; son culte fut, dit-on, introduit par Numa. Chez les Grecs, on inscrivait sur les bornes, les arrêts de proscription et les noms des criminels pour les frapper d’infamie. Chaque année aux Terminales, les propriétaires pères de famille parcouraient en chantant des hymnes la bande de terre inculte qui entourait leurs champs, enguirlandaient les bornes et faisaient des offrandes de miel, de blé et de vin, et, sur un autel construit pour l’occasion, ils immolaient un agneau, car c’était un crime horrible que de tacher de sang la borne[1]. Ὀρθωσιος-Ζευς, Ζευς-ὅριος et le dieu Terminus sont des dieux nés du partage agraire.

  1. Dans les villages écossais, on avait l’habitude de faire tous les ans une procession autour des champs pour bien en fixer les limites ; cela s’appelait to ride the marches.