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BEAUNIS. — l’expérimentation en psychologie

en réalité à aucun désir, à aucun sentiment particulier ; c’est un essai que je fais et je sais parfaitement que je fais un essai. Or, qui dit « essayer » dit aussi « ne pas croire d’avance », de sorte qu’en dernière analyse, cela revient à dire que je me mets volontairement dans un état psychologique peu favorable à la manifestation du désir et du sentiment en question. Si, en effet, je cherche à vérifier un fait quelconque, je commence par me mettre en garde contre toutes les causes d’erreur, c’est-à-dire par douter. Le scepticisme est la première qualité de l’expérimentateur.

Je ferai encore une autre remarque. À l’état ordinaire, le désir précède l’expression de ce désir et les actes moteurs par lesquels on le réalise ; c’est là la marche habituelle du processus cérébral ; la transmission nerveuse se fait des centres émotifs aux centres moteurs. Mais la transmission en sens inverse est tout à fait exceptionnelle. Cependant je n’affirmerais pas qu’elle ne peut se faire à l’état ordinaire de veille. Je suis convaincu que si l’on disait à une dévote : Mettez-vous à genoux ; l’association entre cette attitude et l’idée de prier ferait monter bientôt la prière à ses lèvres, et si cette phrase, « je voudrais manger des cerises » était répétée dans certaines conditions, par exemple un jour de chaleur, et après une longue marche en plein soleil, je ne répondrais pas que le désir réel ne finit par arriver bien vite. On pourra me dire, il est vrai, que dans de telles conditions, il ne serait même pas nécessaire que les paroles fussent prononcées. Il y a donc, à l’état normal, une liaison intime entre un sentiment, une passion, et les actes moteurs qui les réalisent ordinairement, mais, d’habitude, cette liaison se fait du sentiment au mouvement et seulement dans des cas exceptionnels du mouvement au sentiment. Or c’est un fait général d’innervation que les transmissions nerveuses les plus fréquemment exécutées sont aussi celles qui se produisent avec le plus de facilité et qui sont le plus difficilement enrayées, tandis que, quand ces transmissions ne se font que très rarement, le moindre obstacle peut les arrêter. Quels sont maintenant ces obstacles ? Quelles sont ces influences d’arrêt ? Il est difficile de le préciser, mais il est très probable qu’il faut les chercher dans les sensations de toute nature qui de la périphérie sensitive aboutissent aux centres nerveux. Je ne saurais aller plus loin dans l’analyse de ces faits qui rentrent dans la physiologie générale de l’innervation et dans l’étude des actions d’arrêt ; j’aurai peut-être occasion d’y revenir plus tard. Quoi qu’il en soit, chez l’hypnotisé, chez lequel toutes les sensations sont abolies, à l’exception de celles sur lesquelles porte la suggestion, toutes les causes étrangères qui peuvent agir comme influences d’arrêt ont disparu et le champ reste