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ans, qui avait droit de prendre la parole dans les assemblées. — Durant les saisons consacrées aux travaux des champs, les disputes et les différens entre les tribus et les bourgades ne se réglaient plus par les armes, mais par la parole, d’où Εἰρήνη, la déesse qui parle.

Pour faire pénétrer dans leur crâne cette idée étrange, qu’ils ne devaient pas prendre les fruits et les légumes du champ d’autrui à la portée de leur main, les hommes primitifs recoururent à toute la sorcellerie qu’ils étaient capables d’imaginer. S’il est vrai, selon le mot de Pétrone, que la crainte a fait les Dieux, il est encore plus vrai que des Dieux ont été fabriqués pour inspirer la terreur. Les Erinnyes, ces plus anciennes déesses, que dans les Choéphores et les Euménides, Eschyle dépeint implacables, noires, des serpents dans les cheveux et du sang dans les yeux, toujours rugissantes, vociférantes et faisant des grands gestes, comme des bergers qui veulent épouvanter des loups ou d’autres animaux menaçant leurs troupeaux, les Erinnies devaient primitivement être les déesses tutélaires des troupeaux, terrifiant par leurs cris et leurs contorsions les hommes et les bêtes qui les attaquaient. — Ἐριννύς pourrait venir de ἐριον, laine, d’où dérive ἐριώλη, voleur de laine.

Dicé et Némésis appartiennent à cette catégorie de divinités créées non par la crainte, mais pour faire peur. Ainsi que leur nom l’indique, elles naquirent postérieurement à l’introduction de la pratique du partage des terres ; elles furent chargées de maintenir les nouveaux usages et de châtier ceux qui les violaient. Dicé était terrible comme les Erinnyes, avec lesquelles elle s’allie pour terrifier et punir les coupables ; comme les Euménides, elle dut s’apaiser à mesure que les hommes s’habituèrent à respecter les nouvelles coutumes agraires ; peu à peu elle se dépouilla de son aspect rébarbatif. Némésis présidait aux partages ; elle veillait à ce que la distribution des terres se fit d’une manière équitable ; elle réparait les erreurs du sort. Sur le bas-relief qui reproduit la mort de Méléagre, Némésis est représentée un rouleau à la main, sans doute le rouleau où l’on inscrivait les lots de terre échus à chaque famille ; son pied pose sur la roue de la Fortune. Pour comprendre ce symbolisme, il faut savoir que, les terres arables divisées en lots à peu près égaux, le sort décidait la part qui devait revenir à chacun. C’est pourquoi sors signifie ce que l’on reçoit en partage, lot de terre, domaine d’une famille, etc., et sort, hasard, loterie. Κλῆρος, partage par le sort, lot assigné par le sort, sort et lot de terre, patrimoine, fortune.

De ce que les mots qui dérivent de la racine Νεμ contiennent l’idée de partage et celle de loi ; de ce que Νομος, primitivement partage,