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Galien, que si le même organe qui est fait pour sentir doit aussi être mû, il a les deux sortes de nerfs ; l’un pour la sensation, qui demeure étranger au mouvement ; l’autre pour le mouvement, qui demeure étranger à la sensation. Et il cite des exemples. Il cite ceux de nos sens dont l’organe est mobile, l’œil et la langue, distinguant dans l’œil le nerf moteur du nerf optique ; dans la langue, le nerf moteur du nerf gustatif. Je demande comment un physiologiste contemporain pourrait s’y prendre pour distinguer plus nettement, plus catégoriquement, plus radicalement, les nerfs sensitifs et les nerfs moteurs ?

Il est vrai que dans un passage Galien parle de nerfs qui, étant d’une moyenne consistance, seraient tout à la fois sensitifs et moteurs. Mais cela ne contredit ni n’efface la distinction des nerfs exclusivement sensitifs et des nerfs exclusivement moteurs. Lorsque Magendie eut découvert la sensibilité récurrente, c’est-à-dire la sensibilité en retour des nerfs moteurs, la grande distinction des deux espèces de nerfs, radicalement différents, n’en fut ni ébranlée, ni diminuée[1]. De même ici. L’existence de nerfs mixtes, jouissant à la fois des deux propriétés, sensitive et motrice, n’exclurait pas, impliquerait au contraire, celle de nerfs simples, uniquement habiles à la sensation ou au mouvement.

Il est vrai que Galien appelle nerfs mous les nerfs qui président à la sensation, nerfs durs les nerfs qui président au mouvement, et qu’il explique par la mollesse des uns leur propriété de sentir, par la dureté des autres leur propriété de mouvoir. J’en suis fâché, je l’avoue ; mais l’erreur, en se mêlant à la vérité, n’empêche pas celle-ci d’être la vérité. Mous ou non, il reste toujours que les nerfs sensitifs sont purement sensitifs ; durs ou non, il reste toujours que les nerfs moteurs sont purement moteurs ; et que leurs propriétés irréductibles s’expliquent pas leur consistance, ou s’expliquent autrement, ou ne s’expliquent pas, elles n’en sont pas moins des faits parfaitement constatés par le médecin alexandrin et parfaitement incontestables. Nous verrons d’ailleurs, ci-après, que Galien paraît avoir fait bon marché de ces fausses dénominations et de la fausse idée à laquelle elles répondent.

Il est vrai que Galien se méprend sur l’origine différente des nerfs sensitifs et des nerfs moteurs, faisant naître arbitrairement et inexactement les premiers de l’encéphale et singulièrement de ses parties profondes, les seconds du parencéphale et de la moelle épinière. J’en suis fâché encore, je l’avoue ; mais de ce qu’il se trompe sur le point de départ et le trajet des deux espèces de nerfs, il ne s’ensuit pas qu’il se trompe sur leur nature et leurs attributs. Et malgré tout, ce fait demeure à la gloire de Galien : il a vu comme on la voit aujourd’hui, il a affirmé comme on l’affirme aujourd’hui, la radicale distinction du système nerveux sensitif et du système nerveux moteur.

  1. Qui sait si le fait affirmé par Galien et le fait mis en lumière et démontré par Magendie ne sont pas le même fait, mal vu par l’un, bien vu par l’autre ?