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CHAUVET. — un précurseur de ch. bell et de f. magendie

d’un praticien impartial qui déclare avoir soigné un malade paralysé de la sensibilité sans l’être du mouvement.

Or, ces paralysies à forme exclusive, comment en rend-il compte ? Très simplement et très naturellement, par la distinction de deux espèces de nerfs, les uns sensitifs exclusivement, les autres moteurs exclusivement. Il n’a pas de peine à montrer l’inanité des explications proposées par ses devanciers. Ceux-ci, rapportant la sensation et le mouvement aux mêmes nerfs, et tenant pour évident que la sensation demande moins de force pour être éprouvée que le mouvement pour être produit, exposaient que si une altération grave des nerfs supprime tout mouvement et toute sensation, une altération légère peut fort bien supprimer le mouvement seul et laisser la sensibilité intacte. Galien a bientôt fait de répondre par le cas du mouvement persistant dans la disparition de la sensibilité. Or, comment expliquer cette anomalie-là ? Ceux des médecins qui n’osaient la nier devant l’évidence des faits, n’en donnaient que des raisons misérables. Galien se fait fort de donner la véritable. C’est que la sensibilité et la motilité ont leurs nerfs à part, d’où il suit que la lésion des nerfs du mouvement n’entraîne que la perte du mouvement, comme la lésion des nerfs de la sensibilité n’entraîne que la perte de la sensibilité.

Comme on le voit, c’est la même théorie constante, exposée pour elle-même dans le traité physiologique De l’usage des parties, appliquée à l’interprétation des paralysies exclusives dans le traité pathologique Des lieux affectés. On pourrait presque dire qu’elle s’est perfectionnée d’un point de vue à l’autre, d’un traité à l’autre. En effet, dans le traité Des lieux affectés, les nerfs de la sensation et du mouvement sont moins souvent désignés par les appellations de nerfs mous et de nerfs durs ; Galien dit plus volontiers de ceux-ci : les nerfs des muscles, de ceux-là : les nerf du derme. Il y a même un passage (IV, iii) où, parlant des nerfs sensitifs de la langue, il s’exprime ainsi : « …la troisième paire, que les anatomistes nomment nerf mou. » Ce qui prouve que cette dénomination de nerfs mous n’est pas de lui, ni par conséquent celle de nerfs durs ; et ce qui permet de penser que l’explication de la propriété de sentir par la mollesse du nerf, de la propriété de mouvoir par sa dureté, pourrait bien être aussi un legs et un préjugé du passé. La distinction des nerfs sensitifs et des nerfs moteurs, purifiée de cet alliage, nous apparaît alors dans toute sa netteté et sa clarté, digne absolument du plus beau génie médical de l’antiquité, après ou avec Hippocrate.

Impossible donc d’en douter : Galien avait découvert, dès le deuxième siècle de notre ère, l’essentielle distinction des nerfs sensitifs et des nerfs moteurs. Mais quel chemin l’avait conduit à ce résultat ?

Quand on lit dans le traité De l’usage des parties les passages relatifs à la distinction des deux espèces de nerfs, on est doublement surpris et de rencontrer une telle théorie à cette date et sous cette plume et de ne pas voir du tout comment Galien a pu y être conduit ; il sem-