Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/285

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
281
notes et discussions

exagérer l’indépendance de l’âme à l’égard du corps, ils n’observent les choses de l’âme qu’à travers les organes et c’est dans la division même des organes qu’ils cherchent une base à la division des facultés.

Descartes le premier a séparé absolument la connaissance de l’âme de celle du corps ; mais cette séparation ne vaut pour lui que dans l’ordre tout abstrait de la pensée pure. Sa psychologie, quand elle prend un caractère concret, comme dans le traité des Passions de l’âme, est tout imprégnée de physiologie. Ses contemporains font comme lui. La Recherche de la vérité de Malebranche unit sans cesse la physiologie à la psychologie. Spinoza raisonne plutôt qu’il n’observe ; mais ses théorèmes de psychologie sont loin d’avoir pour objet l’explication exclusive des phénomènes internes. La pensée, pour lui, n’est rien sans l’étendue l’âme se définit « l’idée du corps >. Comme l’a très bien montré M. Janet[1], « la séparation de la psychologie et de la physiologie… est l’œuvre de l’école sensualiste du xviiie siècle ; elle est l’œuvre de Locke. Je ne traiterai pas, dit-il, de la nature de l’âme en physicien. » Locke et tous ceux qui l’ont suivi font abstraction, dans l’étude des faits de conscience, de leurs conditions physiologiques ; mais ils ne se renferment pas pour cela dans l’observation interne. Ils s’appuient sur l’expérience générale des hommes, non sur le témoignage unique et personnel d’une seule conscience. On sait quelle place tiennent, dans la polémique de Locke contre les idées innées, les documents ethnographiques.

Il faut arriver à Maine de Biran pour trouver nettement exprimée la prétention de fonder une science sur la seule observation interne ; mais cette science, telle que l’entend l’auteur des Nouvelles considérations sur les rapports du physique et du moral, n’est pas toute la psychologie, elle n’en est que la partie la plus élevée. Comme le dit encore M. Janet, « le spiritualiste Maine de Biran introduit dans la psychologie beaucoup plus de physiologie que Tracy et Laromiguière, qui appartenaient à l’école sensualiste. »

L’école éclectique, avec Cousin et Jouffroy, a, pour la première fois, conçu l’idée d’une psychologie toute subjective, dont le fond ne devait être demandé qu’à l’expérience intérieure et où l’expérience extérieure n’aurait accès qu’à titre d’auxiliaire. C’était si bien une nouveauté que, si l’on excepte les polémiques religieuses, inspirées par l’intérêt clérical plutôt que par des convictions sincères d’ordre théologique ou philosophique, rien, dans les théories de la nouvelle école, n’a soulevé une plus vive et plus générale opposition. Contre cette nouveauté, ses adversaires ne manquaient pas d’invoquer la tradition constante de la philosophie. C’est, dans la Réfutation de l’Éclectisme de Pierre Leroux, l’objet principal et le plus solide de la discussion.

Le retour à l’observation externe n’a donc été que le retour à la tra-

  1. Victor Cousin et son œuvre, page 319.