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mot. Pour le sentiment, comme pour la pensée, le prolongement du travail intérieur se fait à partir des plus tendres années. Il nous arrive bien quelquefois de reconnaître pour nôtres certaines de ces impressions primordiales : ce sont les heures d’or de la mémoire. Mais, le plus souvent, nous avons peine à dévisager ces vieilles connaissances. Nous les retrouvons dans un livre, dans une conversation, au théâtre : dans la rue elles nous apparaissent comme quelque chose de déjà vu, sans savoir d’où ni de quand nous les tenons. Le fonds de notre conscience est pétri de consciences ignorées.

IV

Il nous reste à parler des rapports de la volonté avec la conscience et l’inconscience. À quatre ans, à six ans, nous retrouvons encore le plus souvent l’impulsivité primitive, l’exubérance et la vivacité des mouvements, mais de mieux en mieux coordonnés, l’inconstance des désirs, mais de moins en moins tyranniques. Cette impulsivité est de plus en plus intermittente ; elle a ses jours, ses heures, ses crises, variant suivant les tempéraments, l’éducation et l’entourage. Les organes d’action sont plus forts et mieux exercés, les centres supérieurs plus développés, plus habitués à arrêter et à diriger en divers sens les excitations nerveuses ; les centres inférieurs, en travaillant toujours beaucoup pour eux-mêmes, travaillent davantage pour la communauté. Les buts sont en général plus conscients, les résolutions moins labiles. Nous verrons encore des enfants même de sept ou huit ans, sous l’effet d’une grande joie, se poursuivre dans les escaliers, les corridors et les appartements, avec les éclats de voix, les rires convulsifs, les contorsions extravagantes de sauvages en fête. Nous verrons assez souvent se produire des cas semblables à celui de cette fillette de six ans, si pressée de porter la première un bouquet à sa grand’tante, qu’elle courait, les bras en l’air, agitant le bouquet de toutes ses forces ; ayant trouvé la bonne vieille endormie sur son fauteuil, elle se mit à la secouer rudement, et bondit impétueusement sur ses genoux. Il ne faut jamais prier beaucoup l’enfant du second âge pour le ramener à ce dévergondage de paroles et de mouvements hérité de nos sauvages ancêtres et développé dans les deux premières années. Est-ce à dire que, si peu modérés qu’ils soient par l’attention inhibitoire, il n’y entre pas un tant soit peu de conscience ? Un de mes petits voisins vient m’inviter à venir passer la soirée chez son père avec des amis. J’entends frapper deux petits coups à la porte, qui s’ouvre tout à coup avec fracas. La première action provient d’une habitude encore mal formée, la