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TANNERY. — le concept scientifique du continu

sives était autrement conclu, tandis que le principe admis pour établir l’impossibilité était le même.

Mais il est clair que ce principe pouvait donner lieu à objection, et l’on n’a pas remarqué jusqu’à présent que les différents arguments sur le mouvement constituent les différentes branches d’un dilemme double. En fait, Zénon ne veut nullement nier le mouvement, mais démontrer qu’il est inconciliable avec la conception de l’espace comme une somme de points.

Son premier argument part de la dichotomie, toujours admise a priori, comme pouvant être indéfiniment prolongée. Mais l’adversaire ébauche peut-être la distinction d’Aristote, il objecte que ces points en nombre infini ne sont donnés que par la division, que celle-ci demande un certain temps, et que le mouvement la devance ; Zénon lui répond par l’Achille, argument auquel ne peut être faite la même objection.

L’adversaire remonte alors au principe qu’il a concédé trop facilement. Le temps fini n’est-il pas lui-même susceptible d’une dichotomie à l’infini ? N’est-il pas lui aussi une somme d’instants ? et qui empêche alors qu’à chaque position successive corresponde un instant ?

C’est contre cette conception que sont dirigés maintenant les deux derniers arguments. Zénon aurait pu la combattre directement, comme il l’a fait pour la conception du corps ou de la ligne comme somme de points ; il s’y prend d’une façon détournée, où l’on peut mesurer toutes les ressources de sa dialectique.

D’abord, c’est l’argument de la flèche. À chaque instant donné, elle occupe une position déterminée ; mais occuper une position déterminée à un instant donné, c’est être en repos à ce moment ; donc la flèche n’est pas en mouvement, elle est en repos pour chaque instant donné.

Non pas, reprend encore l’adversaire, ce n’est pas là ce que j’entendais quand je faisais remarquer que le temps est une somme d’instants. Je dis que chaque instant correspond non pas à une position déterminée de la flèche, mais au passage de chaque position à la suivante.

Zénon tient en réserve son quatrième argument qui a été complètement méconnu jusqu’à présent. Il veut prouver que cette dernière objection est insoutenable, car il s’ensuivrait que tous les mouvements seraient égaux entre eux. Dans l’hypothèse faite, d’une position à la suivante, il y a toujours un instant et tous les instants sont naturellement supposés égaux entre eux. Il est donc impossible de supposer par exemple la vitesse doublée.