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puissances supérieures, mais ils ne peuvent plus être qualifiés de linéaires, au sens qui vient d’être défini.

Arrêtons-nous un moment, pour bien marquer le changement de point de vue consacré[1] par la théorie des ensembles, telle que je viens de l’esquisser.

Zénon d’Élée, opérant par dichotomie sur une droite donnée, postulant seulement que l’opération peut être poursuivie à l’infini, aurait pu, sans inconvénient pour son but, concéder que la dichotomie, répétée sur chaque fraction obtenue, et indéfiniment prolongée, ne laissera échapper aucun des points de la droite. Quoi qu’il soit très facile de reconnaître que nombre de points, et par exemple, avant tous autres, ceux que donnerait la division en trois parties égales, ne peuvent être atteints par la dichotomie, si loin qu’on la prolonge, l’attention ne se porte pas naturellement sur ce fait, ou bien elle s’en détourne d’elle-même, à la réflexion qu’en tout cas la dichotomie permet de s’approcher d’aussi près que l’on veut de tel point donné quelconque.

Si cependant cette question eût été proposée : Qu’est, par rapport à l’ensemble de tous les points obtenus par dichotomie complète, l’ensemble de tous les points que ne donne pas l’opération indéfiniment prolongée ? on eût, ce semble, été porté à répondre qu’il y a là deux infinis du même ordre. Il n’en est rien au contraire ; qu’on supprime successivement par la pensée sur la droite, ensemble linéaire de points de la seconde classe, autant d’ensembles linéaires de points de la première classe que l’on voudra, non seulement tous les points que donne la simple dichotomie, mais tous ceux que donne une division par un nombre rationnel quelconque ; bien plus, tous ceux qui peuvent être représentés par des racines incommensurables de nombres rationnels, ou même qui peuvent être solutions d’équations algébriques à coefficients rationnels, le reste apparaît toujours comme de seconde classe, comme un infini inépuisable par rapport aux infinis que l’on essaie de ranger sous toute loi analogue à celle de la série des nombres entiers.

Inversement, tous les ensembles de première classe précités et tous autres semblables, sont bien loin de pouvoir reconstituer la droite à eux seuls on a beau les multiplier ou en étendre la conception, le problème n’avance pas au point de vue philosophique ; entre deux quelconques des points qu’ils donnent, aussi rapprochés qu’on les suppose, il y a toujours une infinité aussi inépuisable de points n’appartenant pas à cet ensemble ; et cependant, c’est là le paradoxe,

  1. Je ne dis pas introduit, car on pouvait s’y élever dès avant cette théorie.