Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/416

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
412
revue philosophique

Peu de temps après, il commet un vol, à l’occasion duquel une instruction est ouverte au conseil de guerre. Les renseignements recueillis sur ses antécédents ne tardent pas à démontrer son irresponsabilité. Relâché de prison, il est dirigé sur l’hôpital, où il entre le 27 mars 1885, dans le service de clinique médicale de l’École de Rochefort. Le lendemain, il tombe en état de mal hystéro-épileptique, état d’où il sort avec une hémiplégie et une hémianesthésie sensitivo-sensorielle à droite.

Nous pensons naturellement à rechercher l’action des métaux et de l’aimant. En appliquant sur l’avant-bras droit paralysé un barreau d’acier, le transfert se produit bientôt. Mouvements, sensibilité dans ses divers modes, tout a passé de gauche à droite, avec la symétrie ordinaire. En même temps, une autre transformation s’est produite, bien plus surprenante. Tout d’un coup, les goûts de notre sujet se sont complètement modifiés, le caractère, le langage, la physionomie, tout est nouveau. Ce n’est plus le même personnage. Mieux encore ! Il ne reconnaît plus les lieux où il se trouve, les personnes qui l’entourent ; il se croit à Bicêtre, salle Cabanis, nº 11 ; il a vu hier M. Voisin ; il attend sa visite.

Ce changement saisissant, accompagnant le transfert de la sensibilité et du mouvement de gauche à droite, nous pensons d’abord qu’il s’agit d’une dissociation de l’action des deux hémisphères cérébraux, et tout naturellement, nous cherchons, par des expériences ultérieures, à rendre à notre sujet l’activité de son cerveau tout entier.

Après quelques tentatives infructueuses par des procédés variés, nous essayons le bain électrique, et le succès est complet. Toute paralysie du mouvement et de la sensibilité dans tous ses modes, s’évanouit sous nos yeux ; en même temps la personnalité se transporte à une époque plus reculée de la vie. V… se réveille à Saint-Urbain, le 22 mars 1877 ; il n’a que quatorze ans ; il jouit de toutes ses facultés ; il n’a jamais été malade ; sa voix, son attitude, sa physionomie sont celles d’un enfant convenable ; il raconte l’histoire de son enfance, ses occupations ordinaires à la colonie agricole ; tout ce qui suit la date où il se trouve reporté lui est complètement étranger.

Dans cette dernière épreuve, un agent physique, l’électricité, a restitué au système nerveux l’intégrité de ses facultés motrices et sensibles, et du même coup a transporté la conscience à cette époque très éloignée de la vie où cette intégrité du mouvement et du sentiment n’avait pas encore été atteinte par la maladie.

Engagés dans cette voie, nous devions la poursuivre. Nous avons eu recours aux différents moyens physiques de transfert, acier, fer doux, aimant, électricité, pour obtenir des états variés qu’il nous faut maintenant décrire en détail.

Premier état. — Hémiplègie et hémianesthésie à droite. — État ordinaire de notre malade depuis le 28 mars 1885.