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PAULHAN. — les phénomènes affectifs

le soient trop peu, on ne perçoit pas leur but ni leur nature par le sens intime, et l’homme ignore son propre caractère. Il suffit par exemple qu’une certaine émotion altruiste, si faible soit-elle, accompagne un de nos actes, pour que nous pensions que cet acte a été produit par cette émotion, alors qu’il n’est que le résultat de tendances parfaitement égoïstes et quelquefois méprisables, mais que nous apercevons d’autant moins qu’elles sont plus enracinées chez nous. En ce cas la tendance altruiste, très faible, agissant dans le même sens, peut donner lieu à un phénomène affectif parce qu’elle est moins organisée ; elle seule paraît, nous lui attribuons d’autant plus volontiers notre détermination que nous la considérons comme d’ordre relativement élevé, et cependant, réduite à ses propres forces et privée de l’appui des tendances moins nobles, elle serait restée souvent impuissante, comme l’expérience le montre en bien des cas.

Il est beaucoup plus fréquent qu’on ne le croit de se tromper sur ses tendances. Il faut un assez long exercice pour être bien sûr de connaître ce que, au fond, l’on aime ou l’on hait. Très souvent on se trompe sur le sentiment que vous inspire telle ou telle personne, telle ou telle chose ; on se laisse aveugler par des impressions sans porté e, d’autant plus en évidence qu’elles sont plus superficielles ; on s’aveugle sur les tendances le plus fortes d’autant plus cachées qu’elles sont plus profondes. De là des déceptions, en amour par exemple. J’écarte, comme ne rentrant pas dans les faits que j’étudie en ce moment, les erreurs sur la personne aimée, mais il faut bien remarquer celles qui sont dues au défaut de connaissance de soi-même et de son propre caractère, et qui ont pour effet d’aveugler les hommes sur la façon dont les défauts qu’ils voient les impressionneront plus tard, alors que les sentiments superficiels qui les agitent encore auront disparu, et par suite sur la durée de leur amour. Alceste connaît les défauts de Célimène bien qu’il s’exagère son amour pour lui. Supposez-les mariés et vivant ensemble depuis trois ans, croyez-vous qu’Alceste soit heureux ? Croyez-vous qu’il aime encore Célimène ? Il est au moins possible qu’il ne l’aime plus, et il ne l’a jamais aimée complètement. La protestation du caractère d’Alceste, un moment étouffée par des impulsions plus superficielles, mais plus vives et plus troublantes, — comme un torrent qui obligé de se faire un lit fait plus de bruit qu’un fleuve coulant paisiblement dans le sien — se fera entendre de nouveau ; le vrai caractère apparaîtra et l’amour s’évanouira ne laissant que la surprise de son apparition.

C’est que la conscience dont il faut bien nous occuper ici à propos