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exemple sérieux du gouvernement d’une classe exercé sincèrement dans l’intérêt d’une autre classe ou dans l’intérêt égal de tous.

Encore une fois c’est là ce qui explique et peut-être excuse l’étrange gageure, le paradoxe inouï du suffrage universel… Mais aussi longtemps que le sexe faible reste à l’écart des affaires, le suffrage universel n’existe pas. La loi faite par quelques hommes pour régler la condition des femmes a-t-elle bien pour objet l’intérêt des femmes ou l’intérêt commun de tous les membres de la société ? La considération des cas analogues autoriserait une présomption négative. Cette présomption acquiert plus de force lorsqu’on s’aperçoit que le sexe privé des droits de l’autre reste soumis au même fardeau, et que la faiblesse en raison de laquelle on lui refuse toute compétence n’est jamais invoquée à l’effet d’alléger sa responsabilité. La réponse à notre question : minorité ou esclavage, varie peut-être suivant les pays, dont il faudrait comparer les législations. Pour ce qui concerne la France, cette étude est faite, et voici comment un esprit généreux en formule le résultat. « Quand la loi française, dit M. Alexandre Dumes, déclare la femme inférieure à l’homme, ce n’est jamais pour libérer la femme d’un devoir vis-à-vis de l’homme ou de la société, au contraire, c’est pour armer l’homme et la société d’un droit de plus contre elle. Il n’est jamais venu à l’idée de la loi de tenir compte de la faiblesse de la femme dans les différents délits qu’elle peut commettre, au contraire, elle en abuse[1]. »

Quel que puisse être le dévouement que telle femme inspire à tel homme dans un moment donné, le rapport général entre les deux sexes n’est point celui d’un dévouement réciproque, l’impulsion qui les porte à s’unir n’exclut point l’égoïsme, chacun y cherchant la satisfaction de son propre désir. Hors de ces relations, l’antagonisme paraît bientôt, et c’est dans son intérêt particulier que le sexe masculin a réglé tout ce qui concerne l’autre. La personnalité de la femme est reconnue dans la mesure où l’homme trouve son profit à la reconnaître pour la transmission de ses biens et pour l’éducation de ses fils. Celle des filles a pour objet d’augmenter l’agrément de leur société pour les hommes, sans leur permettre de concourir avec eux et d’arriver à l’indépendance. Les droits apparents de la femme re sont pas de vrais droits, non seulement parce qu’ils manquent de garantie, ainsi qu’on l’a déjà marqué, mais parce qu’ils n’ont pas été constitués dans l’intérêt de celle qui les exerce. La soi-disant minorité du sexe établie par nos Codes occidentaux n’est qu’une servitude mal déguisée ; le droit du plus fort règne toujours. Plus

  1. Les femmes qui tuent et les femmes qui votent, p. 204.