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EGGER. — sur quelques illusions visuelles

de tacta depuis longtemps formée qui correspond au mot œil. Et comme toutes les sensations tactiles sont localisées en un point de la surface du corps, la sensation nouvelle est, par analogie, située en un point de cette surface, celui qui est déterminé par les associations précédemment décrites : « on applique au cas nouveau l’expérience ancienne ; la sensation nouvelle est située selon les habitudes du toucher » (Taine). Avons-nous de meilleures raisons pour rapporter les saveurs à la surface interne de la bouche, les odeurs à l’intérieur de nos narines ? L’inférence par laquelle se font ces deux dernières localisations est exactement celle qui conduit les aveugles opérés à croire que les visa touchent leurs yeux.

Mais la sensation nouvelle, en ce qu’elle avait de propre et de nouveau, n’était pas donnée au niveau des yeux, pas plus qu’elle n’était donnée tactile. Aucun aveugle n’a pu le dire ni le croire. Ils ont mélangé la donnée nouvelle avec ses associées comme fait en toute occasion l’esprit humain vulgaire ; le psychologue seul sait analyser les données complexes de la sensation. Aucun texte ne prouve et ne saurait prouver cette chose invraisemblable, que les visa comme tels auraient été subitement donnés aux opérés en une certaine position de profondeur ou de distance par rapport à leurs visages ; je dis en une certaine position, car une distance nulle est encore une position déterminée.

Les observations faites sur les aveugles nés sont donc sans valeur dans la question qui nous occupe ; le témoignage des nouveaux opérés n’est intéressant que par la curieuse illusion qu’il nous révèle ; les aveugles opérés se trompent ; une certaine association s’impose à eux qui les égare. Essayons d’une autre méthode, la méthode de l’observation personnelle, à laquelle il faut toujours revenir dans les questions psychologiques, car elle est incontestablement la plus favorable à l’analyse.

Lorsque je regarde avec un seul œil à quelques mètres de moi une personne ou un objet, je constate que le visum est plat ; il a perdu la troisième dimension ; ou je le vois ainsi spontanément, ou je le suppose tel et il ne me contredit pas ; mais je le crois toujours à une certaine distance de moi ; je crois à un vide qui me sépare de lui, vide approximativement mesuré par le sol ou le plancher, par les murs, par des tables ou par des chaises, en un mot par les objets vus d’une manière indistincte qui sont situés à la périphérie du champ visuel autour de l’objet regardé ; mon idée de la profondeur s’arrête à l’objet regardé, mais elle va jusqu’à lui. Si le champ visuel est entièrement occupé par un seul visum, la vision monoculaire sera débarrassée de ces visa accessoires qui, vus habituellement en raccourci,