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jours à donner à leurs lettres majuscules et aux traits courbes des minuscules des contours gracieux, harmoniques, très voisins des courbes géométriques parfaites. Les gens grossiers et vulgaires ne parviennent jamais qu’à dessiner des formes aussi déplaisantes que leurs allures.

Pour une raison semblable, la bonté arrondit toutes les lettres à leur base, tandis que la rudesse leur met des angles à tous les coins. C’est le signe du manque de sociabilité, particulier aux gens dont on dit qu’ils ne sont pas bons à prendre avec des pincettes.

Les artistes, et il faut entendre ceux qui ont vraiment le sens du beau très développé, font d’instinct leurs majuscules conformes aux modèles typographiques, qui, par l’association remarquablement simple des lignes droites et courbes, réalisent, en effet, des dessins fort harmoniques.

Une imagination vive et exaltée s’accompagne de mouvements étendus, et se traduit sur le papier par l’exagération en longueur des jambages descendants ou ascendants, et aussi par le mouvement au-dessus de la ligne de traits qui ne doivent pas en dépasser le niveau. L’S, dont l’angle supérieur se prolonge à la façon du trait vertical du T est caractéristique des exaltés.

Ceux qui ont le don naturel de bien enchaîner leurs idées, dont l’esprit est enclin aux déductions, et dont on dit qu’ils sont logiques, lient leurs mouvements, et aussi leurs lettres. Des mots voisins peuvent même être réunis par un trait plus ou moins allongé, quand cette forme de l’esprit est très accentuée. C’est l’écriture des déductifs, des logiciens, des mathématiciens.

Inversement, les intuitifs, les poètes, les inventeurs, les esprits prime-sautiers composent leurs mots de lettres désunies. Les autographes de nos grands poètes, Musset, Victor Hugo, entre autres, que tout le monde a entre les mains, confirment absolument cette règle. Thiers, dont l’écriture présente autant de lettres liées que de lettres désunies, était un équilibré.

Cette observation, soit dit en passant, autorise à penser que les intuitifs, procédant par mouvements isolés, subissent les idées plutôt qu’ils ne les amènent par un naturel enchaînement ; et leurs gestes, sans doute difficiles à analyser, mais sur lesquels la graphologie nous renseigne, sont certainement d’une forme particulière et caractéristique.

Comme l’intelligence se révèle, dans le discours, par des phrases claires que soutiennent des gestes sobres et précis, de même l’écriture de l’individu bien doué sous le rapport de cette faculté se caractérise par des lignes, des mots et des lettres entre lesquels circule