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l’apparition de la vie, et qu’avant ceux-là il n’y avait aucun phénomène biologique.

Or ce que nous savons seulement, comme fait, c’est qu’au-dessous de l’écorce terrestre, se trouve une couche à une très haute température, siège de phénomènes chimiques extrêmement puissants et d’où sont sortis et continuent encore à sortir les terrains d’origine ignée. Conclure que cette couche s’étend jusqu’au centre de la terre, est une déduction d’autant moins justifiée au fond, que nous ignorons encore si les phénomènes chimiques précités ne sont pas suffisants pour produire et maintenir la température dont il s’agit, laquelle n’influe d’ailleurs pas aujourd’hui sur celle de la surface.

D’autre part, les matériaux qui composent les terrains ignés sont naturellement, au point de vue chimique, ceux qui se prêtent aux réactions de la couche plutonienne, mais ils proviennent, pour une partie plus ou moins grande, des terrains supérieurs d’origine ignée ou aqueuse qui se trouvent ou arrivent à se trouver en contact avec cette couche. Dès lors, et eu égard à l’état actuel des connaissances, il n’est nullement démontré et peut-être ne sera-t-il jamais démontrable que les plus anciens dépôts aqueux n’ont pas été détruits par la suite des temps, et que, dès lors, les traces de la première apparition de la vie n’ont pas irrémédiablement disparu. L’histoire de la terre peut donc être un livre dont les géologues reconnaissent et classent les feuillets successifs, mais les premiers de ces feuillets peuvent avoir été brûlés.

Essayons maintenant de nous élever à des considérations plus générales et de juger philosophiquement le caractère assigné par M. Faye à l’évolution de l’univers. Des trois conceptions générales possibles qui peuvent être regardées comme réellement satisfaisantes pour l’esprit en cosmogonie, j’écarte celle de la création originaire et de l’anéantissement final. Si, en effet, des motifs religieux peuvent conduire à soutenir cette conception, il faut reconnaître que la solution qu’elle apporte est étrangère au problème posé, et que dès lors, la science a le droit et le devoir d’en faire abstraction.

Nous ne pouvons, en effet, concevoir la création (ou l’anéantissement) que comme un acte subit après (ou avant) lequel est donné un état phénoménal analogue à celui que nous présente actuellement l’univers. Or, à tout état phénoménal pareil correspond, d’après les lois des phénomènes, un état antérieur (ou postérieur) et cela indéfiniment. Ces états, la science les conçoit et doit les envisager, sans avoir à s’inquiéter de savoir si leur existence a été (ou sera) réelle ou seulement idéale.

La seconde conception est celle d’une évolution, d’une entropie simple, entre deux états différents d’un caractère purement idéal, en ce sens qu’ils ne peuvent être conçus que comme limites indéfiniment reculées pour le passé comme pour l’avenir, limites auxquelles il est contradictoire de prétendre assigner une date déterminée dans la suite du temps infini.