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s’est abstenu de porter un jugement sur sa valeur. Ce jugement, qui est tout entier en germe dans la thèse de M. Lachelier, Bradley nous le donne ici. Il se demande : 1o Si les propositions sont des identités, c’est la question de la quantification du prédicat déjà discutée ; 2o si le raisonnement direct consiste en une substitution de propositions ; 3o enfin il discute la méthode indirecte et le but de la Machine logique :

1o En outre de ce qui a été dit plus haut, Bradley objecte à Jevons, lui empruntant sa notation : si A = B, que B = B C et que nous en tirions cette conclusion A = C, comment peut-il se faire que A B C =A ? Si A C n’est rien, nous ne disons rien ; si B C exprime une différence, comment peut-il s’évanouir ? — En d’autres termes, si, dans un jugement, S = P absolument, il n’y a plus de jugement ; si S n’égale pas P, le signe = exprime une erreur ; 2o il suit déjà de là que le jugement n’étant pas une équation, le raisonnement ne peut s’opérer par voie de substitution. En effet, s’il n’y a pas identité, il ne peut y avoir substitution, et s’il n’y a pas de différence, il n’y a pas de processus logique. Or, si le raisonnement n’est pas un processus logique, il cesse d’exister ; 3o la méthode indirecte (qui n’est autre, bien que Bradley n’en dise rien, que la méthode des résidus de St. Mill), ne peut non plus s’expliquer par des substitutions. Quant à l’ingénieuse Machine logique de Jevons, elle montre bien quelles sont les combinaisons de propositions qui peuvent être vraies, mais elle n’indique pas celles qui sont vraies en réalité. C’est le défaut des machines, elles ne peuvent remplacer l’esprit, qui seul est juge de la vérité et de l’erreur. — Il y aurait peut-être bien quelque chose encore à dire sur cette machine qui rappelle assez bien le grand art et la machine à penser de Lulle, mais il faut savoir gré à l’auteur de la rigueur avec laquelle il critique un logicien pour lequel il professe la plus vive admiration et qu’il proclame le premier logicien du monde, depuis la mort de Lotze.

III. Après cette excursion critique, l’auteur recherche la véritable et essentielle nature du raisonnement et finit par le définir : « Une opération qui est une expérience idéale sur des choses données dont résulte invariablement autre chose. » Sauf le mot expérience et avec moins de rigueur, on ne peut s’empêcher de remarquer que c’est la définition même d’Aristote. C’est l’identité qui forme le fond de toute inférence, l’identité se retrouve donc dans la reconnaissance, la dialectique, la comparaison, la distinction, dans les constructions géométriques, dans les opérations arithmétiques, dans l’abstraction et dans l’inférence disjonctive. L’œuvre finale du raisonnement consiste dans l’analyse et la synthèse, qui sont les deux faces d’une seule opération. L’une ne peut exister sans l’autre. Soit a b c d un tout naturel, on ne peut distinguer b de a c d que parce que a c d sont liés à b, ainsi « l’analyse est la synthèse d’un tout que l’on divise, et la synthèse est de même l’analyse d’un tout que l’on construit. » Sous cette formule paradoxale, il n’y a, je crois, que cette vérité incontestable, mais peu profonde, que la synthèse ne peut exister là où il n’y a point d’union. L’auteur lui-même reconnaît d’ail-