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E. NAVILLE. — la doctrine de l’évolution

espèces sont demeurées invariablement les mêmes : il serait bien étrange que la graine de millet conservât éternellement sa nature et que le globe entier variât la sienne[1]. »

Telle était l’opinion qui ne régnait pas sans contestation, mais qui dominait le mouvement le plus général de la pensée à l’époque où la doctrine de l’évolution a pris son essor, en renouvelant des idées qui avaient été émises dès l’époque de l’antiquité grecque, et en les appuyant d’arguments nouveaux et considérables.

À l’idée d’un monde créé immédiatement de toutes pièces, les partisans de l’évolution opposent une conception autre de tous points. Ils affirment que l’état primitif de l’univers auquel notre science peut remonter était essentiellement différent de son état actuel, et que le monde a prodigieusement varié, non pas quant aux lois qui régissent les phénomènes, mais quant à la nature des phénomènes qui sont le résultat de ces lois. Ils affirment que le développement de la nature n’est pas simplement une variation, mais un progrès. De la matière dite brute aux êtres vivants, des êtres simplement vivants à ceux qui sont doués de sensibilité et d’intelligence, il y a, pensent-ils, une progression croissante, de telle sorte que l’état des choses à un moment donné est toujours supérieur à l’état précédent.

Cette idée d’une amélioration graduelle appliquée à la société ouvre à la pensée la radieuse perspective d’un progrès indéfini. On arrive ainsi à la conviction réjouissante que « l’avenir lointain tient en réserve des formes de vie sociale supérieures à tout ce que nous avons jamais imaginé[2] ».

Les partisans de la doctrine de l’évolution affirment enfin, non seulement que, dans le développement de l’univers, il n’intervient jamais d’éléments nouveaux, ce qui reproduirait simplement la pensée de Leibniz, mais qu’il n’existe pas, au-dessous de l’unité de la cause universelle, une diversité primitive et irréductible d’éléments. Tout doit s’expliquer par la manifestation, sous des formes variées, d’un élément unique. La vie trouve son explication, sa raison suffisante, dans les données de la physique, et les phénomènes psychiques trouvent leur raison suffisante dans les propriétés des organismes. Variation de l’univers, — progrès de l’univers — unité et continuité du développement de l’univers : telles sont les trois thèses fondamentales de la doctrine de l’évolution. Examinons-les successivement.

La thèse des variations de l’univers est solidement établie par la

  1. Les Principes de la Philosophie, Partie III, art. 45.
  2. Herbert Spencer, Introduction à la Science sociale. Conclusion.