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PAULHAN. — les phénomènes affectifs

à petit, une nouvelle tendance se formera qui paraîtra en opposition avec celles qui lui ont donné naissance et qui surprendra ceux qui, remarquant le fait, n’auront pas connu son origine. Une même conduite extérieure peut témoigner de sentiments intérieurs bien différents. On voit que de remarques il y aurait ici à faire à propos des détails de la formation du caractère et des tendances d’une manière ou de l’autre ; on les trouve, en partie, éparses chez les moralistes ; on peut les dégager des bonnes comédies ; nous n’avons pas, ici, à nous y attarder, quelque intéressantes qu’elles soient, puisque notre sujet est la psychologie générale des phénomènes affectifs.

Nous n’avons pas non plus, par conséquent, à étudier ici comment chaque tendance accompagnée d’un sentiment particulier, l’orgueil, la jalousie, peut réagir sur les autres tendances et les autres sentiments, il nous suffit de savoir en gros que cette influence est réelle et considérable, mais nous pouvons au moins nous demander quelle est la nature de l’action de chacune des grandes catégories de phénomènes affectifs.

Comme plusieurs psychologues l’ont fait remarquer déjà, une grande partie de notre vie psychique est constituée par des phénomènes passablement obscurs, dans le domaine affectif ce sont ceux que nous avons appelés ici tendances affectives et signes affectifs. En effet, il est facile à chacun de se rendre compte que les passions violentes et même les sentiments vifs sont, dans la vie, chose relativement rare. Comme ils attirent davantage notre attention, comme ils restent mieux dans la mémoire psychique, nous sommes portés d’ailleurs à nous exagérer leur importance et leur fréquence. De ce fait que les passions et les sentiments vifs sont rares nous pourrions en déduire, si nous ne le savions déjà par l’expérience, que les changements brusques de caractère sont une chose relativement rare aussi, et avec d’autant plus de raison que tous les sentiments et toutes les passions même n’aboutissent pas à des modifications importantes de la personnalité.

On ne peut pas toujours juger au premier abord, comme nous l’avons vu, du degré d’organisation d’une des tendances qui constituent un caractère par le degré d’énergie des sentiments ou des émotions auxquels elle donne naissance. Si le sentiment est vif, il peut provenir ou bien d’une tendance importante et solidement incorporée à l’organisme, mais qui est contrariée par des obstacles extérieurs ou intérieurs, ou bien d’une tendance naissante qui est entravée dans sa formation. Ainsi, que la satisfaction d’une tendance ou que sa formation soient empêchées et nous avons l’apparition du phénomène affectif. Alors au contraire que la tendance en voie de forma-