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Sévère a plus de vivacité et de force apparente. Mais le caractère est solidement organisé, il ne faiblit pas et le devoir triomphe. Dans les deux derniers actes, il est vrai, l’attachement de Pauline pour ce qu’elle considère comme son devoir prend un caractère plus passionné. C’est qu’alors le devoir est menacé dans son accomplissement, non seulement par son amour pour Sévère, mais par Polyeucte lui-même, c’est-à-dire par celui à qui le devoir lui ordonne de sacrifier son amour : le devoir et l’affection pour Polyeucte prennent un aspect moins attendu, plus capable par conséquent de se révéler dans la lutte par des sentiments et par de la passion. Cela est si vrai que Pauline en arrive, en cet instant de crise, à prononcer ce vers que Voltaire dans son commentaire souvent bien étroit reproche à Corneille et qui est une merveille de psychologie :

Ne désespère pas une âme qui t’adore.

Voltaire aurait raison de blâmer ce vers s’il arrivait au premier acte, l’attachement de Pauline pour Polyeucte a besoin d’être menacé, non seulement par Sévère, — avec le caractère droit de Pauline la menace ne serait pas assez redoutable, — mais par Polyeucte lui-même, pour arriver à ce degré d’exaltation et se traduire par des sentiments aussi vifs.

À côté des changements qui paraissent amenés par l’influence directe et logique des sentiments, on pourrait signaler les changements dus à des influences indirectes et plus éloignées, mais qui sont bien, pourtant, la suite et la conséquence des phénomènes cérébraux qui s’accompagnent particulièrement en général d’émotions vives et de passions. Cela arrive quand ces phénomènes qui déterminent subitement ou progressivement une altération morbide de l’organisme en général ou des centres nerveux en particulier, par exemple l’épilepsie, l’apoplexie, la paralysie générale, la folie, sont la conséquence soit d’émotions trop vives, soit d’habitudes anti-hygiéniques et sont la cause de modifications postérieures du caractère et de la personnalité. Je n’insisterai pas sur ce rôle indirect des sentiments et des passions dans l’organisation, ou plutôt ici dans la désorganisation du moi, je me borne à l’indiquer.

Conclusion.

Revenons à notre point de départ et tâchons de résumer ce qui précède en nous plaçant au point de vue de la conception générale de l’homme telle que je l’ai exposée au commencement de ce travail. L’homme est un système ou un assemblage de systèmes composés eux-mêmes de systèmes moins complexes ; et cet ensemble de