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E. GLEY. — les sens musculaire

La relation très directe, qui ressort des faits étudiés par M. Magnin, entre la sensibilité cutanée et la sensibilité musculaire, avait déjà été observée par les cliniciens dans différents cas pathologiques ; et Ch. Bastian en a bien vu l’importance. C’est ainsi qu’il s’appuie (loc. cit., t.  II, p. 284), pour combattre l’hypothèse du sens musculaire, sur un cas déjà ancien de Demeaux (Des hernies crurales, thèse de Paris, 1843). Il s’agit d’une malade atteinte d’hémianesthésie complète. Demeaux dit : « Elle mettait ses muscles en jeu sous l’influence de sa volonté, mais elle n’avait pas conscience des mouvements qu’elle exécutait. Elle ne savait pas quelle était la position de son bras, il lui était impossible de dire s’il était étendu ou fléchi. Si l’on disait à la malade de porter sa main à son oreille, elle n’en avait pas conscience ; si j’arrêtais son bras au milieu du mouvement, elle ne s’en apercevait pas. Si je fixais, sans qu’elle pût s’en apercevoir, son bras sur le lit, et lui disais ensuite de porter sa main à sa tête, il y avait un moment d’effort ; puis elle restait tranquille, croyant avoir exécuté le mouvement. Si je lui disais d’essayer encore, elle essayait avec plus de force de le faire ; et, aussitôt qu’elle était obligée de mettre en jeu les muscles du côté opposé (du corps), elle reconnaissait qu’on s’opposait au mouvement. » On remarquera la partie de l’observation par laquelle débute la citation ci-dessus : la malade mettait parfaitement ses muscles en jeu sous l’influence de sa volonté, mais elle n’avait pas conscience des mouvements qu’elle exécutait. Ainsi, malgré l’intégrité de l’innervation centrifuge, par cela que la sensibilité générale (superficielle et profonde) était altérée, il y avait disparition de toutes les notions qu’on attribue à un sens musculaire. Rien ne paraît plus probant contre la réalité de ce sens.

C’est ce que dit Bastian, interprétant le cas et le rapprochant d’une autre observation analogue (loc. cit., p. 285) : « Il y avait, chez cette femme, une disparition totale de cette sorte de connaissance que l’on a assignée au « sens musculaire » ou que l’on a supposée en dériver. Cette femme ignorait la position de ses membres et était inconsciente des mouvements quelconques qu’elle pouvait exécuter. Les centres volitionnels, les centres moteurs spinaux, les nerfs moteurs et les muscles pouvaient être mis en jeu comme auparavant, — toutefois toutes les notions que l’on suppose ordinairement dériver du sens musculaire avaient disparu.

« Un état précisément semblable existait aussi dans un cas célèbre de maladie de la moelle, associée à une anesthésie extrême et qui fut observé par Spaeth et Schueppel (voy. Ziemssen’s Cyclopædia, vol.  XIII, p. 88). On peut citer la note suivante sur l’état de ce malade : « Le sentiment de la pression et le sens de la force sont