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E. GLEY. — les sens musculaire

la sensibilité musculaire, sous toutes ses formes, paraît ne dépendre que de la sensibilité cutanée. La difficulté, il est vrai, est surtout d’ordre physiologique et ne peut nuire en rien à la conclusion psychologique, relative à la non-existence du sens musculaire.

Qu’on remarque d’abord qu’il se peut parfaitement, sans qu’il y ait à cela aucune contradiction dans la réalité, que la sensibilité musculaire soit souvent liée à la sensibilité cutanée, même dans une très étroite mesure et que cependant, en même temps ou dans d’autres conditions, les sensations tenant à l’excitation des nerfs sensitifs propres des muscles jouent aussi un rôle important dans l’acquisition des notions qui composent la sensibilité musculaire. D’ailleurs, l’étude des contractures, dans la période de léthargie et dans la période somnambulique de l’hypnotisme, telle qu’elle a été faite par MM. Charcot et P. Richer (voy. P. Richer, Études cliniques sur la grande hystérie, 2e édit., Paris, 1885) montre que les mouvements musculaires réflexes peuvent être déterminés aussi bien par l’excitation directe des muscles que par l’excitation de la portion de tégument correspondante aux muscles sous-jacents ; seulement les conditions dans lesquelles le muscle répond à l’un ou à l’autre mode d’excitation sont différentes.

Quoi qu’il en soit de cette question qui, n’offrant qu’un intérêt purement physiologique, pouvait être seulement indiquée et non discutée ici, la conclusion des expériences de M. A. M. Bloch et des expériences de M. P. Magnin ne me semble guère contestable. Comment concilier les résultats obtenus par ces expérimentateurs avec l’hypothèse du « sens musculaire » ou sentiment de l’ « énergie déployée », sentiment de la contraction précédant la contraction elle-même ? Les expériences dont il vient d’être question ne démontrent-elles pas, au contraire, que la conscience du mouvement exécuté est consécutive à l’exécution du mouvement et dépend des sensations qui résultent de la contraction musculaire ?

III

Tous les psychologues sans doute ont lu et médité la forte et pénétrante étude de M. W. James sur le sentiment de l’effort[1] ; on sait avec quelle rigueur d’analyse est établie la conclusion de ce remarquable travail : le « sens musculaire » n’est qu’une somme de sentiments afférents et par conséquent n’est pas plus que tout autre un a sentiment de la force » ; ce n’est donc pas cette soi-disant faculté

  1. The Feeling of Effort. In-4o, Boston, 1880.