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CH. SECRÉTAN. — la femme et le droit

sous un nouveau jour, on pourra la discuter sérieusement, et la solution en dépendra de l’intérêt du parti dominant alors dans le sexe roi, intérêt qui, dans un moment donné, pourra fort bien se trouver favorable au droit des femmes. Ce droit une fois organisé, la femme, admise au conseil, aurait les moyens d’obtenir dans sa condition privée des réformes dans le sens d’une équitable réciprocité qu’elle a vainement attendues jusqu’ici du maître, ou plutôt dont l’infériorité de culture à laquelle on l’a condamnée ne lui a pas encore permis d’apprécier l’importance et de sentir la nécessité. Telle serait, nous semble-t-il, la marche probable du progrès, si le mouvement sensible depuis si longtemps qui tend à faire passer la femme de l’état de chose à celui de personne, doit arriver à sa conclusion. Assurément la justice est une puissance, parce que, suivant le proverbe d’outre les monts, « chacun aime la justice dans la maison du voisin » ; mais, lorsqu’il s’agit des rapports d’une classe en possession de la force et certaine de la conserver avec une classe irrémédiablement condamnée à l’infériorité matérielle, nous compterions peu sur la justice en désaccord avec l’intérêt personnel du maître.

Quel est l’intérêt du maître en l’affaire, c’est la question décisive, la question pratique ; nous l’avions réservée, et l’étude en exigerait plus de volumes qu’il ne nous reste de pages à couvrir. Coupons donc au court, écartons les inextricables difficultés que soulève la notion d’intérêt en nous plaçant successivement à deux points de vue :

Si l’intérêt d’un être individuel et celui d’une classe consistent à s’assurer les moyens d’atteindre les buts qu’ils poursuivent en fait ou de conserver une position qui leur paraît avantageuse, nous dirons sans hésiter que l’intérêt du sexe masculin est ici de rester le seigneur de l’autre et de ne rien changer à leurs rapports actuels. Soit qu’en sa qualité d’époux, il fasse acheter sa compagnie à la femme par une cession de biens couronnant et sanctionnant un engagement d’obéissance perpétuelle à ses ordres et de fidélité exclusive à sa personne, sans autre engagement de sa part envers elle que de la souffrir dans son voisinage — soit qu’amant, il en fasse tantôt gratis, tantôt à prix débattu, l’instrument de ses jouissances en laissant à sa charge tous les résultats de leur union — soit qu’enfin, sous un prétexte quelconque, il l’emprisonne, afin de trouver toujours à l’instant même un moyen peu coûteux de calmer ses désirs ; le système est complet, on ne pourrait que le gâter en y touchant.

Mais si la notion d’intérêt porte sur les buts à se proposer aussi bien que sur les moyens d’atteindre un but arrêté d’avance, ou