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CH. SECRÉTAN. — la femme et le droit

mêmes. Du reste, nulle part n’apparaît mieux qu’ici l’illusion de la morale empirique : Pour entendre bien de quel profit serait la vertu, il faudrait être déjà vertueux. Ceux qui, sensibles à la différence entre les satisfactions de l’appétit qui veut posséder et celles du cœur passionné qui se donne et veut s’anéantir dans son objet, savent que cette distance s’efface à son tour devant la distance de la passion qui enivre à l’amour qui épure et qui glorifie, ceux qui ont trouvé dans son étreinte grandeur et jeunesse, douceur et fierté, ceux en qui ces mots perdus ou souillés : l’amour, le bonheur, ont conservé leur sens auguste, ceux-là seuls comprendront de quelle importance infinie il serait pour notre sexe que le sexe complémentaire pût réaliser et manifester les puissances intellectuelles et morales qui sommeillent en lui, qui s’y éteignent ou qui s’y corrompent, trésors sans lesquels l’homme n’est pas encore la moitié de l’homme et que la liberté seule peut mettre au jour. Déjà grande assurément dans la famille, l’influence de la femme se fait sentir aussi dans l’État, mais c’est la femme sans culture et sans droit qui suggère un avis sans responsabilité sur les choses de la république, c’est une inférieure incessamment contrainte à flatter et à feindre qui enseigne à nos fils la franchise et la fierté. L’influence actuelle de la femme n’est pas seulement insuffisante, elle est viciée. Pour donner le bonheur et la paix dont elle possède les sources, il faut que la femme devienne tout ce qu’elle est susceptible de devenir ; mais ce qu’elle peut, nous l’ignorons, nous avons tout fait pour l’ignorer.

IV

Ceci nous ramène au point dont notre étude est partie. La condition légale du sexe est en voie de transformation. Ce mouvement est légitime. Quiconque mesure les étapes franchies de son primitif esclavage à son état actuel dans les classes qui écrivent la loi, comprendra que nous ne sommes pas au bout, et que notre régime de droits précaires et sans garantie, égaux aux nôtres dans l’héritage, inégaux dans la famille et nuls dans l’État, n’est qu’un compromis sans logique et sans avenir. Quiconque parcourra des yeux nos promenades et nos trottoirs, nos tribunaux, nos hôpitaux, nos ateliers et nos demeures, se convaincra que le compromis fonctionne mal. Cependant toute évolution tend à un but : quel est ce but ? nous l’ignorons. Nous ne connaissons pas la différence naturelle entre les deux sexes, mais nous savons qu’elle est très grande, sans aller pour-