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finira par comprendre que son despotisme le dégrade lui-même, et, de toutes façons, l’appauvrit, qu’il ne parvient plus à se tirer d’affaire, et qu’il a besoin de sa mère dans son conseil.

Nous réclamons le suffrage pour la femme, afin qu’elle obtienne enfin justice. Elle pénètre déjà dans l’administration ; nous y voudrions pour elle un libre accès à tous les degrés de la hiérarchie : elle y combattrait un vain formalisme, elle y favoriserait l’ordre et l’économie, elle ferait entrer dans la gestion des affaires quelque chose de son bon sens et de sa bonté. Nous croyons fermement que l’avènement de la justice dans les relations des sexes entraînerait de véritables améliorations pratiques dans presque tous les domaines, mais nous ne pensons pas que par là tout fût bouleversé. Le changement ne serait ni si brusque ni si apparent qu’on l’imagine. Selon toute probabilité, la reconnaissance du droit des femmes n’en ferait entrer au parlement qu’une élite fort peu nombreuse, de même pour les tribunaux et partout. Le gros des affaires resterait en nos mains, seulement l’esprit du gouvernement serait changé ; le droit aurait pris le pas sur la force, parce qu’une fois enfin, se limitant elle-même, la force aurait été vraiment la force. L’esprit de paix ayant obtenu sa place dans la vie publique, on pourrait sérieusement songer à la paix entre nations. La constitution du pouvoir étant conforme à la justice, l’esprit de justice aurait au moins quelque chance de s’introduire dans l’exercice du pouvoir, qui ne tendrait plus aussi fatalement à fonder la suprématie d’un parti sur l’écrasement de tous les autres. Mais la différence des genres de vie répond plus ou moins à celle des fonctions naturelles, et dans l’avenir elle y répondra mieux encore si l’on se met une fois en devoir de conformer sa conduite aux lois dont on acquiert la connaissance, sans se croire tenu de les corroborer par des ordonnances qui ne sont propres qu’à les fausser. Nous pensons donc que sous le régime de l’égalité juridique la plus complète la gestion des intérêts publics resterait, pour la plus grande part entre les mains de notre sexe, tandis que la femme, conformément à ses aptitudes, exercerait une influence essentiellement modératrice sur la marche de la société. Cette influence féminine s’exerce déjà, peut-être au fond dans un sens favorable, mais quand elle se fait remarquer, elle paraît plutôt nuisible, étant celle d’une créature vaine, pétrie de préjugés et parfaitement ignorante de la justice, ignorance, vanité, préjugés qui sont notre ouvrage, pensons-y bien, et sans lesquels, pensons-y encore, elle ne pourrait pas supporter un jour l’existence que nous lui faisons. La reconnaissance du droit de la femme ne nous mettrait donc pas en perte ; en grandissant, son action deviendrait plus saine, et se limiterait bientôt.