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taient d’adoucir ? Car ce que nous appelons légèrement une mauvaise lai, qu’est-ce autre chose, à y regarder de près, qu’une cause da ruine, de souffrances matérielles et morales, quelquefois de mort même pour un nombre incalculable d’êtres humains ? Les exemples sa pressent de nouveau sous la plume de l’auteur, tirés pour la plupart des lois restrictives des échanges : il ne se lassera pas, dit-il, de répéter une leçon que presque personne ne semble avoir méditée sérieusement ni comprise, tant on en tient peu de compte dans la pratique.

Que demande-t-il donc au législateur ? De faire avant toute chose « une étude systématique de la causalité naturelle telle qu’elle se déploie parmi les hommes groupés en société. » Et il rappelle à grands traits les enseignements de la sociologie que les législateurs ont grossièrement ignorés, qu’ils ignorent encore, ou négligent et violent à qui mieux mieux, Ce résumé, bien qu’un peu diffus, n’est pas sans contenir une très grande somme de vérités utiles et sans faire sur l’esprit une impression considérable. On peut sans doute y contester tel ou tel point de doctrine, puisque la doctrine mise en avant est la thèse évolutionniste, plus ou moins livrée aux disputes des philosophes ; mais ce qu’on ne saurait nier, c’est l’évidence et la portée des lois essentielles rappelées dans ce résumé : la nature organique et vitale des sociétés ; l’impossibilité d’intervenir artificiellement dans leur marche sans risquer d’y jeter le trouble et d’y produire une suite interminable de maux ; la lutte pour l’existence et la survivance des plus aptes, facteurs principaux de tout progrès, condition de toute supériorité ; la différence profonde, à cet égard, de la famille, qui peut impunément chercher à atténuer cette dure loi, et de la société politique qui ne le peut pas, pour qui le régime dit paternel n’est jamais qu’une cause de décadence et de ruine.

Ce qui est, en tous cas, surabondamment démontré, c’est la gravité, la difficulté infinie de l’œuvre législative et la prodigieuse légèreté qu’il y a, légèreté bien coupable en effet, si elle n’était inconsciente, à accepter, à rechercher une telle tâche sans se croire en rien tenu de s’y préparer. Si soigneusement qu’on s’y prépare, notre ignorance est telle encore, et si grande la complexité des phénomènes, qu’on ne fera toujours que trop de fautes ; au moins ne pourraient-elles plus être l’objet d’un juste reproche, pas plus que celles du médecin, quand il se trompe malgré de longues études, en faisant de son mieux selon toutes les lumières de son temps.

IV. La grande superstition politique, « c’était, dans le passé, le droit divin des rois, c’est aujourd’hui le droit divin des parlements ». On a bien d’autres exemples de doctrines abandonnées en paroles et généralement décriées, qui continuent, en fait, à régner dans les esprits, Cependant, autant la soumission aveugle est naturelle à l’égard d’un pouvoir d’origine divine, autant elle l’est peu à l’égard d’un pouvoir électif. M. Spencer examine donc au nom de quels principes elle est réclamée par les théoriciens de l’autorité politique, Hobbes, par exem-