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piédestal[1] ». Dans l’étude précédente d’ailleurs, on a vu que les métagéomètres regardent le postulatum d’Euclide comme un signe distinctif de l’espace euclidien.


III


Si la théorie des parallèles entraîne les penseurs dans un labyrinthe de propositions dont ils ont cru ne pouvoir sortir qu’en refondant la géométrie — c’est ce que j’ai fait — ou qu’en l’absorbant dans une géométrie prétendument générale — c’est ce que font les néogéomètres —, les postulats de la ligne droite et du plan nous conduisent dans un autre dédale, d’un caractère différent et ayant un autre point de départ.

Nous parlerons plus tard et incidemment des postulats du plan. Pour le moment, la droite seule nous occupera.

Dans Legendre, elle est l’objet de deux propositions :1° l’une qualifiée comme définition, « la ligne droite est le plus court chemin d’un point à un autre[2] » ; — 2° l’autre baptisée axiome, « d’un point à un autre on ne peut mener qu’une seule droite ».

Ces deux propositions sont bel et bien des théorèmes. Pareil procédé pourrait singulièrement simplifier même la géométrie supérieure. Définition : la cycloïde est le plus court chemin de descente d’un point à un autre, c’est une brachistochrone ; axiome : entre deux points on ne peut faire passer qu’une brachistochrone. — Ou encore : Définition : sur une sphère, l’arc de grand cercle est le plus court chemin d’un point à un autre; axiome : entre deux points on ne peut tirer qu’un arc de grand cercle. C’est un peu là d’ailleurs ce que font les néogéomètres.

Rien ne montre mieux les difficultés inhérentes à la définition de la droite que cet expédient de Legendre, esprit lucide et ingénieux,

  1. Le mot est de Laplace. C’est M. Renouvier qui le cite d’après A.-J.-H. Vincent, dans son opuscule Sur un point de l’histoire de la Géométrie (1859), p. 23.
  2. Cette définition n’est pas dans Euclide. Elle appartient à Archimède, dont la rédaction est préférable : « la droite est la plus courte des lignes qui ont les mêmes extrémités. » (Voir, sur cette définition, Renouvier, op. cit., p. 10 et suiv.) Comme celle de Legendre, elle ne s’appliquer qu’à la portion de droite. Blanchet a voulu l’améliorer : « La ligne droite est une ligne indéfinie qui est le plus court chemin entre deux quelconques de ses points. » Mais comment une droite indéfinie, un chemin indéfini par conséquent, peut-elle être le plus court chemin entre deux quelconques de ses points ? Et puis, qu’est-ce qu’une ligne qui est un chemin ? La rédaction exacte serait celle-ci : « La ligne droite est une ligne indéfinie dont toute portion est la ligne la plus courte que l’on puisse tracer entre les deux points qui limitent cette portion. » Pour les détails de cette discussion, on peut consulter Prolégomènes, etc., p. 170-191.