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logie[1]. » C’est que, suivant lui, le fait dominateur de la vie sociale est le progrès et que, d’autre part, le progrès dépend d’un facteur exclusivement psychique, à savoir la tendance qui pousse l’homme à développer de plus en plus sa nature. Les faits sociaux dériveraient même si immédiatement de la nature humaine que, pendant les premières phases de l’histoire, ils en pourraient être directement déduits sans qu’il soit nécessaire de recourir à l’observation[2]. Il est vrai que, de l’aveu de Comte, il est impossible d’appliquer cette méthode déductive aux périodes plus avancées de l’évolution. Seulement cette impossibilité est purement pratique. Elle tient à ce que la distance entre le point de départ et le point d’arrivée devient trop considérable pour que l’esprit humain, s’il entreprenait de le parcourir sans guide, ne risquât pas de s’égarer[3]. Mais le rapport entre les lois fondamentales de la nature humaine et les résultats ultimes du progrès ne laisse pas d’être analytique. Les formes les plus complexes de la civilisation ne sont que de la vie psychique développée. Aussi, alors même que les théories de la psychologie ne peuvent pas suffire comme prémisses au raisonnement sociologique, elles sont la pierre de touche qui seule permet d’éprouver la validité des propositions inductivement établies. « Aucune loi de succession sociale, dit Comte, indiquée, même avec toute l’autorité possible, par la méthode historique, ne devra être finalement admise qu’après avoir été rationnellement rattachée, d’une manière d’ailleurs directe ou indirecte, mais toujours incontestable, à la théorie positive de la nature humaine[4]. » C’est donc toujours la psychologie qui aura le dernier mot.

Telle est également la méthode suivie par M. Spencer. Suivant lui, en effet, les deux facteurs primaires des phénomènes sociaux sont le milieu cosmique et la constitution physique et morale de l’individu[5]. Or le premier ne peut avoir d’influence sur la société qu’à travers le second qui se trouve être, par conséquent, le moteur essentiel de l’évolution sociale. Si la société se forme, c’est pour permettre à l’individu de réaliser sa nature, et toutes les transformations par lesquelles elle a passé n’ont d’autre objet que de rendre cette réalisation plus facile et plus complète. C’est en vertu de ce principe que, avant de procéder à aucune recherche sur l’organisation sociale, M. Spencer a cru devoir consacrer presque tout le pre-

  1. Cours de philos. pos., IV, 333.
  2. Ibid, 345.
  3. Ibid?, 346.
  4. Ibid., 335.
  5. Principes de sociologie, I, 14-15.