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nous formulerons, peu nous importe même qu’elle puisse servir à quelque chose. Que ces vérités scientifiques soient ensuite susceptibles d’applications utiles à la pratique, que pour agir il les faille connaître, nous ne songeons pas à le contester, mais ce sont là, nous semble-t-il, des préoccupations qu’il faut oublier lorsqu’on cherche à établir quelles sont les relations qui unissent l’un à l’autre deux groupes de phénomènes. La fonction du savant n’est pas plus d’agir que de juger, elle consiste à comprendre et à expliquer.

Tel n’est pas le point de vue auquel M. P. s’est placé ; il a tenté d’écrire sur la volonté le livre qu’il jugeait le plus immédiatement utile et non pas celui où il lui serait possible de faire tenir la plus large collection de faits nouveaux et d’idées nouvelles ; il estime plus un bon conseil qu’une remarque neuve sur un détail, encore mal observé, d’un processus psychologique. Aussi l’œuvre qu’il a faite est-elle plutôt œuvre de maître de morale que de psychologue. Mais à la considérer de ce biais, on n’en saurait guère faire que des éloges. Peu de livres ont paru en ces dernières années où aient résonné avec autant de rude loyauté des paroles viriles et joyeuses, de ces paroles sévères qui réconfortent et obligent à se mettre en face de soi-même et à réfléchir sur sa vie et sur le but qu’on lui a assigné. C’est un livre que tous les jeunes gens devraient lire ; il en est peu qui dénotent une si fine et si profonde expérience de la vie intérieure du commun d’entre nous, un sens si sûr et si droit de la vie pratique.

Mais ces conseils, que donne M. P., avec un tel accent de persuasive autorité et de bonhomie rude, encore a-t-il cru nécessaire de les faire reposer sur une théorie de la volonté qu’il expose avec quelques détails. La voici très brièvement résumée : il y a à nos actes deux catégories d’antécédents, des idées et des états affectifs ; nous avons toute puissance sur nos idées, mais la puissance de nos idées sur nos actes est extrêmement faible ; les sentiments en revanche nous déterminent irrésistiblement à agir, mais nous n’avons presque directement sur eux aucune prise. Ce qui nous rendra libres, ou, pour parler avec plus de précision et d’exactitude, ce qui ordonnera nos actes par rapport a. une fin conçue d’avance, jugée digne d’être atteinte, consentie et voulue par conséquent, c’est l’association de l’idée ou de l’image de cette fin avec tous les sentiments forts qui peuvent agir sur nous dans le même sens que cette idée et la rupture des associations entre cette idée et les sentiments antagoniques. Nous pouvons travailler à nouer et à dénouer des associations, aussi bien des associations d’idées et de sentiments que des associations d’idées à d’autres idées ou d’idées à des actes : et c’est en ce travail que consiste essentiellement l’éducation que nous sommes en état de donner nous-mêmes à notre volonté.

M. P. a étrangement simplifié pour les besoins de sa démonstration le mécanisme de nos actes ; il a laissé dans l’ombre le rôle prépondérant que jouent dans notre activité et notre vie les impulsions, les tendances, les instincts, les habitudes, tout ce qui nous détermine a tel